Page:Tremblay - Les ailes qui montent, hommage au nouvel an 1919, 1918.djvu/14

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Moi, je me sais plus fort, et je lui dis : « Espère ! »
Mais elle me répond : « Tais-toi, tu n’es qu’un père ! »
Elle, c’est la Maman, et toutes les mamans
Entretiennent leur foi de pleurs et de tourments.
Elle rêve tout haut des maux qu’elle devine,
Et voit sur les talus que le canon ravine
Fondre les bataillons, dans la foudre emportés
Avec ses fils, hélas ! nos fils, déchiquetés !
Si mes enfants tombent là-bas, c’est pour la France.
Ils ont pour eux la Gloire, et j’aurai la navrance ;
Mais je ne croirai pas en avoir fait assez,
Malgré le poids des ans et mes membres lassés.
Aujourd’hui, je suis seul, la tâche me dépasse ;
Mes pas rhumatisants franchissent moins d’espace,
En creusant le sillon, et ma débile main
Tremble, pour maintenir l’attelage en chemin.
Le soc est lourd, l’effort est dur, la terre avare.
Dans mon vieux bas de laine où l’argent se fait rare.
Quand je plonge la main les mailles se défont :
La Misère en grugeant s’est fait un nid au fond.
En attendant qu’un soir le dernier sou s’en aille,
Je songe à nos soldats jetés dans la bataille,
Et qui comptent sur nous, les femmes et les vieux,
Pour imposer au sol un tribut onéreux.
Je ne veux pas qu’on sache, au pays des tranchées,
Combien j’aurai de pain, en comptant les bouchées,