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Page:Tremblay - Pierre qui roule, 1923.djvu/41

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PIERRE QUI ROULE

L’argent était peut-être un peu rare à la campagne, mais il avait une valeur réelle. On voyait passer, surtout les jours de marché, de nombreuses traînes chargées de bois sec. Il y avait des gens de l’autre bout de la paroisse qui n’hésitaient pas à faire quatre ou cinq lieues pour aller au Fort vendre une charge de bois cotée à la somme énorme de 30 sous ou même un écu, selon la qualité.

C’était aussi en hiver que les sabotiers, race disparue depuis, faisaient leur apparition, étalant sur les longues ridelles de leurs traînes leur marchandise consistant en sabots taillés dans le tilleul ou bois blanc, chaussures dont on se servait pour circuler autour de la maison, sur le sol argileux, et qu’on laissait à la porte afin de ne pas salir le plancher. Il y avait bien aussi le vendeur de poterie et le fondeur de cuillers, destinés à disparaître plus tard, mais ces deux derniers n’apparaissaient qu’en été, avec l’orgue à marionnettes et le statuaire qui portait sur sa tête tout un assortiment de madones et de chats en plâtre.

Les costumes de gala ne ressemblaient guère à ceux d’aujourd’hui, mais ils les valaient bien. Chacun sa manière, de se rendre ridicule ou irrésistible. En hiver, ceux qui en avaient les moyens portaient des casques en fourrure, L’énorme coiffure masculine était surmontée d’une rotonde convenablement aplatie qui surplombait un tube cylindrique muni d’une visière. La profonde capuche des femmes laissait difficilement apercevoir leurs traits. Ces gigantesques couvre-chefs étaient ordinairement en loutre, et la fourrure utilisée pour leur confections représenterait aujourd’hui une valeur de $100 ; mais elles ne coûtaient que $10 en cet heureux temps.

Les demoiselles de la haute ne rougissaient pas de venir en souliers de bœufs jusqu’au village, afin de ménager leurs chaussures des dimanches qu’elles ar-