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qu’aux Abbez Réguliers ; mais ils ne la peuvent donner qu’aux Religieux. Le P. Hay, Moine Bénédictin, dans son Livre intitulé Astrum inextinctum, assure que les Abbez de son Ordre ont une jurisdiction comme Episcopale, & même comme Papale, potestatem quasi Episcopalem, imò quasi Papalem, sur tous les Religieux, & que c’est par cette raison qu’ils conférent à leurs Moines la tonsure & les Ordres mineurs. Il se peut faire qu’en Allemagne les Abbez de l’Ordre de saint Benoît joüissent de ce privilége ; mais ils n’en joüissent point aujourd’hui en France, quoique quelques Abbayes prétendent avoir ce droit en vèrtu de leur exemption. On dit même qu’Innocent VIII a accordé à l’Abbé de Cisteaux le pouvoir d’ordonner des Diacres & des sous-Diacres. A l’égard de la tonsure, Innocent III répondant à Robert Pullus Archevêque de Roüen, qui l’avoit consulté, pour savoir si les Abbez pouvoient donner la tonsure à leurs Moines, il lui dit qu’il n’y a pas de difficulté, puisque le septiéme Concile l’a ainsi réglé. Il paroît par les actes de la vie de S. Convoion Abbé, qu’autrefois les Abbez pouvoient tonsurer des Laïques qui n’étoient pas Moines. Le second Concile de Nicée pèrmet aux Abbez de faire des Lecteurs ; & plusieurs Abbez, par des concessions particulières, ont eû du S. Siége le privilége de donner les quatre moindres Ordres. P. Martene.

ABBÉ, s’est dit quelquefois même des simples Moines, qui n’avoient aucune autôrité ou jurisdiction. Abbé est pris dans ce sens dans la régle de saint Colomban, C. 7, où il est dit qu’il y avoit mille Abbez sous la conduite d’un Archimandrite.

ABBÉ DES ABBEZ. Abbas Abbatum. C’est le titre que Ponce Abbé de Cluny prit à Rome, au Concile l’an 1116. sur quoi Jean Cajétan Chancelier du Pape, lui ayant demandé si les Religieux de Cluny avoient reçû une régle de ceux du Mont-Cassin, ou s’ils leur en avoient donné une : il répondit que non-seulement les Moines de Cluny, mais aussi tous les autres qui sont en Occident, ont reçû leur régle des Moines du Mont-Cassin. Le titre d’Abbé des Abbez doit donc être donné à l’Abbé du Mont-Cassin, repartit le Chancelier. Voyez le Liv. IV, C. 62. de la Chronique du Mont-Cassin, par Pierre Diacre.

Abbé Mitré, Abbas mitratus. C’est un Abbé qui a droit de porter la mitre, & les autres ornemens qui distinguent les Evêques de ceux qui leur sont inférieurs.

Abbé en second, Abbas secundarius. C’est le Prieur du Monastère, celui qui gouverne le Monastère sous l’Abbé, & en l’absence de l’Abbé.

Il y a des Abbez mitrez ; c’est-à-dire, qui ont droit de porter la mitre. Harris dit qu’en Angleterre les Abbez mitrez étoient exemts de la jurisdiction de l’Ordinaire ; qu’ils avoient une autorité Episcopale dans leur district, & qu’ils étoient membres ou Lords du Parlement ; quelquefois on les a appellez Abbez souverains, ou Abbez généraux ; que les autres Abbez étoient soumis à l’Evêque diocésain pour le spirituel ; qu’il y a eu aussi des Lords-Prieurs, qui avoient une jurisdiction libre, & étoient Lords du Parlement. Edouard Cok dit qu’il y a eu vingt-sept de ces Abbez & deux Prieurs qui ont eu séance au Parlement ; mais le nombre n’a pas toujours été le même, & dans le Parlement qui fut tenu la vingtième année de Richard II. ils n’étoient que vingt-sept en tout ; c’est-à-dire, vingt-cinq Abbez & deux Prieurs. Harris. Il y a aussi des Abbez crossez ; c’est-à-dire, qui ont droit de porter la Crosse. L’Abbé Régulier des Bénédictins de Bourges est crossé, & non pas mitré. On dit qu’il y en a qui sont mitrez & crossez ; c’est-à-dire, qui ont pèrmission de porter la Mitre & la Crosse.

Il y a eu chez les Grecs des Abbez qui ont pris la qualité d’Abbez Œcuméniques, ou Universels, à l’imitation du Patriarche de Constantinople. Abbas Œcumenicus. La régle de St. Benoît parle de quelques Moines qui vouloient s’arroger la qualité de seconds Abbés.

Quelques Abbez ont été appellez Abbez Cardinaux. C’étoient les Abbez en chef, lorsque des Abbayes qui avoient été unies, venoient à être séparées. On a aussi donné quelquefois ce titre d’Abbé Cardinal à quelques Abbez, purement par honneur, comme le Pape Calixte le donna à l’Abbé de Cluny. Ponce, Abbé de Cluny, dans un Concile tenu à Rome en 1116. prit la qualité d’Abbé des Abbez ; mais il ne fut pas approuvé, & l’on jugea qu’elle convenoit plutôt à l’Abbé du Mont-Cassin, le premier de l’Ordre de S. Benoît.

On trouve dans le <span class="romain" title="Nombre vi écrit en chiffres romains">vie, VIIe, & VIIIe siècle des Abbez qui n’étoient pas Prêtres, mais seulement Diacres ou Sousdiacres. Et Saint Benoît, dans sa régle, ordonne qu’ils aient néanmoins le pas devant les Prêtres. Vèrs le commencement du neuvieme siècle, Eugène I. ordonna dans un Concile de Rome, que les Abbez fussent Prêtres. Cependant on en trouve encore après ce Réglement qui n’ont point été Prêtres, & jusqu’au 16e


siécle ; car Christophe, Abbé d’Otmars, mort en 1576, ne fut jamais que Diacre. On a quelquefois donné la qualité d’Abbé aux Curez primitifs. Selon M. du Cange, les Paroisses avoient ordinairement trois principaux Officiers ; l’Abbé ou le Gardien, qui est présentement le Curé ; les Prêtres ou Chapelains, & le Sacristain. Les Prêtres étoient chargez du soin des ames & de l’administration de la Cure, & l’Abbé avoit l’œil sur les besoins de sa Paroisse, & sur la conduite des Prêtres. Il y a eu des Evêques qui ont été appellez Abbez, parce que leurs Evêchez étoient originairement des Abbayes, & qu’ils étoient même élus quelquefois par les Moines, comme ceux de Catanes & de Montréal en Sicile. Enfin, quoiqu’il n’y ait proprement que les Moines dont le Supérieur soit appellé Abbé, les Chanoines Réguliers ont aussi donné le nom d’Abbé à celui qui est à leur tête, & comme leur Général. L’Abbé de Ste. Geneviève de Paris qui est Régulier depuis le Cardinal de la Rochefoucault.

Abbé de Cour. On entend par-là un jeune Ecclésiastique poli, & dans les manières & dans les habits : cela marque du déréglement & quelque chose de profane. Bouh. On y joint une idée de délicatesse, de volupté & de galanterie. On suppose d’ordinaire plus de science du monde dans un Abbé de Cour, que d’étude de la Théologie.

Abbé, se dit aujourd’hui, sur tout parmi le peuple, de quiconque porte l’habit Ecclésiastique. On fait aujourd’hui très-bon marché de la qualité d’Abbé. Les moindres Ecclésiastiques se l’attribuent, & même ceux qui n’ont aucun Bénéfice, ni espérance d’en avoir. C’est un fantôme de vanité insupportable. de Roch. On peut dire que l’usage a prévalu, & que ce n’est qu’un tèrme de civilité de la part de ceux qui le donnent, & nullement une preuve ou un effet de la vanité de ceux à qui on le donne.

Abbé, se dit aussi de quelques Magistrats ou pèrsonnes laïques & séculières. Chez les Génois il y avoit un principal Magistrat qu’on appelloit Abbé du peuple. En France il y a eu plusieurs Seigneurs, sur tout du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu’on appelloit Abbacomites. Autrefois on appelloit aussi Abbé le Grand-Maître de la Chapelle Royale.

Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & Comtes ont été appellez Abbez, & les Duchez & Comtez, Abbayes ; & plusieurs Seigneurs & Gentilshommes, qui n’étoient point Religieux, ont aussi pris ce nom, comme remarque Ménage après Fauchet & autres. Les Rois même n’ont pas dédaigné de porter le titre d’Abbé, qui n’étoit pas moins honorable que celui de Duc & de Comte. Philippe I. & Loüis VI. & ensuite les Ducs d’Orléans, sont appellez Abbez du Monastère de S. Agnan d’Orléans par Hubèrt Historien de cette Abbaye. Les Ducs d’Aquitaine ont porté le titre d’Abbez de S. Hilaire de Poitiers. Les Comtes d’Anjou celui d’Abbez de S. Aubin, & les Comtes de Vèrmandois celui d’Abbez de S. Quentin. Loüis le Begue & ses enfans sont fort souvent nommez Abbez dans l’Histoire de ce tems-là.

On appelle aussi Abbé, celui qu’on élit en certaines Confrairies & Communautez, particulièrement entre les Ecoliers & les Garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un cèrtain temps. A Milan, dans toutes les Communautez de Marchands & d’Artisans, il y en a de préposez qu’on appelle Abbez. Et c’est de-là apparemment qu’est devenu le jeu de l’Abbé, dont la régle est, que quand le premier a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent, fassent de même.

Abbé, se dit provèrbialement en ces phrases. On vous attendra comme les Moines font l’Abbé, c’est-à-dire, en mangeant toûjours ; en commençant à dîner : en un mot, on ne vous attendra pas. On dit encore, pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé ; pour dire, que l’opposition d’un particulier n’empêche pas la délibération d’une Compagnie, ou la conclusion d’une affaire. On dit en provèrbe Espagnol, Como canta el Abad responde el Monazillo ; & en François, le Moine répond comme l’Abbé chante ; pour dire, que les inférieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que leurs supérieurs. On appelle par raillerie, Abbez de sainte Espérance, ceux qui prennent la qualité d’Abbez sans avoir d’Abbaye, & quelquefois même de Bénéfice ; ou Abbez de Sainte-Elpide, qui veut dire la même chose, car ἒλπίς signifie espérance en Grèc.

AbBECHER, v. act. Donner la béchée à un oiseau qui n’a pas encore l’adresse de la prendre de lui-même. Escam ingerere. Ce mot vient de à & de bec ; c’est-à-dire, mettre au bec. Nicod.

En Fauconnerie on dit, Abbecher l’oiseau ; pour dire, lui donner une partie du pât ordinaire pour le tenir ou pour le mettre en appétit, dans le dessein de le faire voler un peu après.

AbBÉE, s. f. Ouverture par où on laisse couler l’eau d’un ruisseau ou d’une rivière, pour faire moudre un moulin, qui se


peut