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n’empêcha pas que les Abbés, ou Archimandrites, ne fussent fort considérés dans l’Église orientale, où ils ont toujours tenu un rang, & ils y ont même été préférés aux Prêtres.

La dignité d’Abbé n’est pas moins considérable aujourd’hui qu’elle l’a été autrefois. Selon le Droit commun, tout Abbé doit être régulier ou Religieux ; parce qu’il n’est étably que pour être le Chef & le Supérieur des Religieux : mais selon le Droit nouveau, on distingue deux sortes d’Abbés ; sçavoir l’Abbé régulier, & l’Abbé commendataire. Le premier, qui doit être Religieux, & porter l’habit de son Ordre, est véritablement titulaire. Le second est un séculier, qui est au moins tonsuré, & qui par ses Bulles, doit prendre l’ordre de la Prêtrise quand il aura atteint l’âge, quoyque le mot de Commendataire insinue qu’il n’a l’administration de l’Abbaye que pour un temps, il en possede néanmoins les fruits à perpetuité, étant entièrement substitué aux droits des Abbés Réguliers ; en sorte que l’Abbé Commendataire est véritablement Titulaire par ses Bulles, où on luy donne tout pouvoir, tam in spiritualibus quam in temporalibus, c’est-à-dire, tant au spirituel qu’au temporel ; & c’est pour cette raison qu’il est obligé par les mêmes Bulles, de se faire promouvoir dans le temps à l’ordre de Prêtrise. Cependant les Abbés Commendataires ne font aucunes fonctions pour le spirituel, ils n’ont aucune juridiction sur les Moines. Et ainsi ce mot de in spiritualibus, qu’on employe dans les Bulles, est plutôt du style de Rome, qu’une réalité. Les plus sçavans Jurisconsultes de France, & entre autres du Moulin & Loüet, mettent la commande inter titulos Beneficiorum, c’est-à-dire, entre les titres de Bénéfices. Ce sont des titres Canoniques qui donnent aux Commendataires tous les droits attachés à leurs Bénéfices. Mais comme ces provisions en commende sont contraires aux anciens Canons, il n’y a que le Pape seul qui puisse les accorder par une dispense de l’ancien droit. V. le mot de Commande & Commendataire.

Les Abbés Commendataires étant séculiers, n’ont aucune juridiction sur les Moines. Quelques-uns néanmoins prétendent que les Cardinaux, dans les Abbayes qu’ils ont en commande, ont le même pouvoir que les Abbez Réguliers. On donne pour exemple M. le Cardinal de Boüillon, qui en qualité d’Abbé Commendataire de Cluny, avoit le gouvernement spirituel de tout l’Ordre de Cluny, comme s’il en étoit Abbé Régulier. On répond à cela, que M. le Card. de Boüillon ne jouissoit pas de cette juridiction spirituelle en qualité de Cardinal Abbé Commendataire, mais par un bref particulier du Pape. M. le Card. d’Estrées, Abbé Commendataire d’Anchin en Artois, ayant voulu joüir de ce même droit à l’égard des Religieux de cette Abbaye, en fut exclus par un Arrest du grand Conseil daté du 30 Mars 1694.

Il n’y a que les Abbez Réguliers que l’on bénisse, les Commendataires ne l’ont jamais été. Le pouvoir que quelques Abbez ont de donner la tonsure, n’appartient aussi qu’aux Abbez Réguliers, mais ils ne la peuvent donner qu’à leurs Religieux. Le P. Hay Moine Bénédictin dans son Livre intitulé Astrum inextinctum, assure que les Abbez de son Ordre ont une juridiction comme Episcopale, & même comme Papale, potestatem quasi Episcopalem, imò quasi Papalem, sur tous les Religieux, & que c’est par cette raison qu’ils conferent à leurs Moines la Tonsure & les Ordres Mineurs. Il se peut faire qu’en Allemagne les Abbez de l’Ordre de S. Benoît joüissent de ce privilege, mais ils n’en joüissent point aujourd’hui en France, bien que quelques Abbayes prétendent avoir ce droit en vertu de leur exemption.

Abbé de Cour. On entend par-là un jeune Ecclésiastique poli & dans les manières & dans les habits : cela marque du déreglement & quelque chose de profane. Bouh. On y joint une idée de délicatesse, de volupté & de galanterie. On suppose d’ordinaire plus de science du monde dans un Abbé de Cour, que d’étude de la Théologie.

Abbé, se dit aussi de quelques Magistrats ou personnes laïques & séculières. Chez les Génois il y avoit un principal Magistrat qu’on appelloit Abbé du peuple. En France il y a eu plusieurs


Seigneurs, sur tout du temps de Charlemagne, à qui on donnoit le soin & la garde des Abbayes, qu’on appelloit Abbacomites.

Dans les anciens titres on trouve que les Ducs & Comtes ont été appellés Abbez, & les Duchez & Comtez, Abbayes : & plusieurs Seigneurs & Gentilshommes, qui n’étoient aucunement Religieux, ont aussi pris ce nom, comme remarque Ménage après Fauchet & autres.

On appelle aussi Abbé, celui qu’on élit en certaines Confréries & Communautés, particulièrement entre les écoliers & les Garçons Chirurgiens, pour commander aux autres pendant un certain temps. A Milan, dans toutes les Communautés de Marchands & d’Artisans, il y en a de preposez qu’on appelle Abbez. Et c’est de-là apparemment qu’est venu le jeu de l’Abbé, dont la regle est, que quand le premier a fait quelque chose, il faut que tous ceux qui le suivent, fassent de même.

Abbé, se dit proverbialement en ces phrases. On vous attendra comme les Moines font l’Abbé, c’est-à-dire, en mangeant toûjours : en commençant à dîner. On dit encore, pour un Moine on ne laisse pas de faire un Abbé, pour dire, que l’opposition d’un particulier n’empêche pas la délibération d’une compagnie, ou la conclusion d’une affaire. On dit en proverbe Espagnol, Como canta el Abad responde el Monazillo ; & en François, le Moine répond comme l’Abbé chante, pour dire, que les inférieurs tiennent le même langage, ou sont de même avis que les supérieurs. On appelle par raillerie, Abbez de sainte Espérance, ceux qui prennent la qualité d’Abbez sans avoir d’Abbaye, & quelquefois même de Bénéfice.


AbBECHER. v. a. Donner la béchée à un oiseau qui n’a pas encore l’adresse de la prendre lui-même. Escam ingerere. Ce mot vient de à & de bec, c’est-à-dire, Mettre au bec. Nicod.

En Fauconnerie on dit, Abbecher l’oiseau, pour dire, lui donner une partie du pât ordinaire pour le tenir ou pour le mettre en appetit, dans le dessein de le faire voler un peu après.

AbBÉE. s. f. Ouverture par où on laisse couler l’eau d’un ruisseau ou d’une rivière, pour faire moudre un moulin, & qui se peur fermer avec des pales ou lançoirs. Il en est fait mention dans la Coutume de Louis, cap. 10. Ce mot peut venir de baye ouverture.

AbBESSE. C’est le nom qu’on donne à une Religieuse qui est Supérieure d’une Abbaye. Elle a tous les mêmes droits sur ses Religieuses, que les Abbez Reguliers ont sur leurs Moines, parce qu’elles sont revêtües de la même dignité. Leur sexe ne leur permet pas à la vérité de faire les fonctions spirituelles qui sont attachées à la Prêtrise. Mais il y a des Abbesses qui ont droit, ou plûtost un privilege, de commettre des Prêtres pour ces fonctions. Elles ont même une Juridiction comme Episcopale, aussi bien que quelques Abbez Réguliers qui sont exempts de la juridiction de leurs Evêques. V. Exemption.

AbBOI. substantif masc. On disoit autrefois abay. Le cri d’un chien. Ce mot est factice & formé sur le son des chiens qui crient, ou abboyent. L’abboi des chiens fait connoître le lieu où est le gibier. l’abboi des mâtins est leur cri, quand ils sentent le loup, ou quelque chose d’étrange autour de la maison. Au premier abboi que fait le limier, le loup sort de son liteau, Saln.

On dit proverbialement, Tenir quelqu’un en abboi, pour dire le repaître de vaines esperances.

Aboi, se dit aussi de l’extrémité où est réduit le cerf sur ses fins ; car alors on dit, qu’il est aux abbois, qu’il ne peut plus courir, qu’il manque de force & de courage. Ultima cervi deficientis necessitas. On ne s’en sert dans ce sens qu’au pluriel.

Abbois, se dit figurément de l’homme, & signifie l’agonie, ou la dernière extrémité. Il est réduit aux abbois ; c’est-à-dire, il se meurt. Animam agere. Expirare. On dit aussi, qu’une place est aux abbois, lorsqu’elle ne peut plus tenir, & qu’elle est sur le point de se rendre ; qu’un procès est aux abbois, quand il est presque jugé, ou perdu : qu’une fidélité est aux abbois, lorsqu’elle est presque vaincuë, & qu’elle est prête à succomber. Extrema, summa angustia. On y voit tous les jours l’innocence aux abois. Boil.


AbBOYEMENT. s. m. Le cri du chien. Latratus. Les longs & affreux abboyemens des chiens ont troublé mon sommeil.

AbBOYER, ou abbayer. v. n. qui se dit pour exprimer le cri des chiens. Latrare. Les chiens abboyent quand ils sentent des larrons. Il se met quelquefois activement : Ce chien abboye les passans.

Le chien qui de ses cris bat ces rives desertes,
Retint prés d’Abboyer ses trois gueules ouvertes.

dit Sar. sur la descente d’Orphée aux enfers.

Ce mot vient du latin adbaubare. Ménag. ou de boare, Latin qui vient de βοᾷν Grec : ou est un mot factice, qui imite le son que fait le chien en abboyant. Nicod.

Abboyer, se dit figurément des hommes, lorsqu’ils s’attendent à quelque chose, qu’ils la désirent & la poursuivent avec avidité. Inhiare. Cet avare, cet ambitieux, abboye après cette succession, après cette charge. Ce chicaneur abboye toujours après le bien d’autrui.

On le dit encore de ceux qui font crier après eux. Un Avocat demandant à quelqu’un qui lui disoit des injures, pourquoi m’abboye tu ? cet autre répondit, parce que je voi un voleur. Ablanc. Cet homme est si méchant, que tout le monde abboye après lui. Un satyrique abboye après les vices. C’est un medisant qui abboye tout le monde. Ablanc.

Je suis par-tout un fat, comme un chien suit sa proye,
Et ne le sens jamais, qu’aussitôt je n’abboye. Boil.

Je tiens qu’originairement abboyer & abbayer sont deux mots differens, & qu’abboyer s’est dit seulement au propre, du cri des chiens, ou de ce qui lui ressemble : & qu’abbayer s’est dit au second sens figuré, & est composé de bayerou béer, qui signifie, regarder attentivement, ou attendre impatiemment, ce qu’on fait ordinairement avec une bouche béante : mais que par abus l’affinité de ces mots les a fait confondre, & prendre l’un pour l’autre.

On dit proverbialement, Abboyer à la lune ; pour dire, Crier & pester inutilement contre une personne au dessus de soi. On dit aussi, Tout chien qui abboye ne mord pas, pour dire, que ceux qui menacent, souvent ne font pas grand mal.

AbBOYEUR. s. m. Latrator. Qui abboye. Un chien qui est grand abboyeur est importun. On appelle Abboyeurs, une sorte de chiens pour le sanglier qui abboyent devant lui sans l’approcher.

On le dit aussi figurément des hommes qui crient, & qui pressent avec importunité. Voilà bien des abboyeurs. Il a des abboyeurs à ses côtés. Ablanc.

AbBREUVER. v. act. Adaquare. Donner à boire aux chevaux & au bétail. On abbreuve les chevaux deux fois par jour. Anciennement on disoit abbeuvrer, & par transposition de lettres l’on a dit abbreuver. Dans une vieille chartre de l’an 1343, il est parlé de l’éponge dont J. C. fut abbreuvé. L’Auteur de Flandria illustrata rapporte une lettre très-ancienne, où l’on trouve enbuver les chevaux.

Abbreuver, signifie aussi Humecter & imbiber d’eau. Humectare, Imbuere. Il faut abbreuver ces tonneaux, cette cuve, avant que d’y mettre la vendange. Ce drap est abbreuvé d’eau. La terre est abbreuvée par les pluyes. Abbreuver les prés, c’est les arroser, y faire venir de l’eau par le moyen des saignées. Les porositez des corps sont abbreuvées des humeurs cruës, épaisses, froides.

Abbreuver, v. act. Terme de Vernisseur. On dit dans ce sens que la première couche de vernis ne se met que pour abbreuver le bois.

Abbreuver, se joint avec le pronom personnel. En ce cas il signifie, Boire, s’enyvrer. Inebriari. Ce jeune homme s’étoit si bien abbreuvé, qu’il bronchoit à chaque pas.

Abbreuver, signifie figurément, Instruire, prévenir quelqu’un par quelque chose, & l’en remplir. Imbuere. Il l’a abbreuvé de cette opinion. J’en suis abbreuvé depuis ma jeunesse. Tout le monde est abbreuvé de cette nouvelle. Souvenez-vous de ces sources immortelles où vous vous êtes abbreuvés des saintes eaux de la sagesse. Patru.

Abreuvé, ée. part. pass. Imbutus.

Sitôt que du Nectar la troupe est abreuvée. Boil.


A chez