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Hertel, de Valrennes, d’Iberville, Lagrange, de Saint-Ours, Sennesergues et tant d’autres.

Laurent de Hautegarde était le dernier rejeton de sa famille, le seul de son nom, sa sœur ayant épousé un de Lauzon, branche dont la tige existe encore en France aujourd’hui.

Aucun de ceux qui avaient pris la parole ne portait un nom connu, aussi leur avait-on prêté une médiocre attention malgré le ton véhément de leurs discours. Mais quand Laurent de Hautegarde s’avança sur la plateforme, un murmure d’approbation parcourut l’assemblée et le silence s’établit autant que le pouvait permettre l’agitation de tant d’hommes réunis. Le jeune orateur parla d’une voix forte et accentuée, avec une grande netteté d’expression et une noblesse de gestes remarquable.

Il commença par s’excuser de prendre ainsi la parole malgré sa jeunesse devant tant d’hommes plus âgés et plus capables que lui. En cela, il n’était guidé que par son amour du pays et son dévouement à la cause du peuple. Il traça un tableau rapide de la marche du gouvernement anglais depuis le traité qui lui assurait la possession du Canada, passa en revue les principaux actes des gouverneurs qui s’y étaient succédés, et arriva aux considérations touchant la situation actuelle du pays. Alors sa parole devint vibrante et ses récriminations contre le gouvernement prirent une teinte de ressentiment dont les élans furent vingt fois interrompus par des acclamations et des applaudissemens passionnés.

Il établit avec une mémoire de chiffres admirable la dilapidation successive et croissante des deniers publics, le gaspillage des terrains de la couronne, dont, en 1827, un million cent soixante cinq mille sept cent quatre-vingt douze acres (1,765,792 acres) avaient été octroyés gratuitement aux officiers du gouvernement, à leurs familles et leurs créatures, et cinq cents trente-six mille cinq cent quatre vingt neuf acres aux membres du conseil exécutif et à leurs familles. Parmi ces accapareurs de la propriété publique, il cita des hommes flétris comme délateurs, embaucheurs, etc. Puis après avoir rappelé des exemples nombreux d’iniquité dans l’administration de la justice, il en vint à parler d’actes d’oppression directe et sanglante, tels que la journée du 21 mai 1832.

— Ainsi, dit-il en terminant avec véhémence, le gouvernement anglais n’a souci que de soutenir l’insolence de ses créatures. À elles nos deniers, à elles nos terres, à elles les honneurs : à nous l’oppression, l’insulte, le mépris ! — Est-il de notre dignité, de notre devoir de supporter un tel état de choses ? Laisserons-nous violer impunément les traités qui nous protègent, la constitution qui nous régit, et ferons-nous, comme des esclaves, abnégation de nos droits et de notre liberté ?