Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/131

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monstration de sa proposition ne sont pas sans reproche. Nous croyons devoir les examiner. La prééminence que, dans la Ve proposition, Turgot donne à la culture de la terre est sans conséquences, et ce serait faire injure à cet honnête homme que de chercher à tirer parti du mot de prééminence qu’il emploie lorsqu’il parle du laboureur. Mais il est bien vrai que ce que le travail de ce dernier fait produire à la terre au delà de ses besoins personnels est le fonds du salaire de tous les ouvriers. Si cette vérité avait besoin de démonstration, il suffirait de dire que le fonds du salaire est la subsistance, et que c’est là le fruit du travail du laboureur. Mais il ne s’ensuit pas pour cela que le laboureur ait droit à tout l’excédant de la production sur la consommation, et que l’ouvrier doive absolument être réduit à ne recevoir que sa subsistance en échange de son travail, comme le dit la proposition VI. Le prix du travail laissé à la liberté ne se règle pas comme le prétend Turgot. La modicité du salaire de l’ouvrier manufacturier peut être le résultat de l’état des choses dans un moment donné, mais ce n’est pas une déduction nécessaire d’un principe reconnu. Loin de là. — Le salaire, au contraire, malgré ses trop incessants soubresauts, tend et doit tendre à devenir de plus en plus abondant. Quoi qu’on en ait dit, la subsistance, toute restriction, prohibition, droit protecteur oubliés pour un instant, peut croître encore longtemps plus vite que la population. Il y a un excédant de plus en plus considérable ; il ne s’agit que de savoir le mettre à profit dans l’intérêt des travailleurs.

La division que fait Turgot des ouvriers producteurs ou laboureurs, et des ouvriers stipendiés ou artisans, est basée sur la proposition précédente, qui consiste à regarder la terre comme la source de toute richesse. Nous avons vu ce qu’avait d’absolu cette proposition. N’est-il pas évident qu’un ouvrier qui fabrique une charrue, une pioche, une bêche, une serpette, a sa part d’utilité, de coopération active dans l’acte de la mise en production de ce sol ? Quel est donc le droit dont parle Turgot en faveur du cultivateur proprement dit de garder à son profit tout l’excédant de la richesse produite sur la richesse consommée ? Turgot pose une hypothèse ; il dit : « Voilà le sol. L’un le cultive, il se l’est approprié. Il vend ses produits au reste de la société qui travaille pour lui. » Turgot, qui était la justice personnifiée, aurait dû aller plus loin, et sa proposition n° IV devait le mettre sur la voie de la base de la distribution de la richesse entre