Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/153

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§ XXXVI. — Chaque marchandise peut servir d’échelle ou de mesure commune pour y comparer la valeur de toutes les autres.

Il suit de là que dans un pays où le commerce est fort animé, où il y a beaucoup de productions et beaucoup de consommation, où il y a beaucoup d’offres et de demandes de toutes sortes de denrées, chaque espèce aura un prix courant relativement à chaque autre espèce, c’est-à-dire qu’une certaine quantité de l’une équivaudra à une certaine quantité de chacune des autres. Ainsi la même quantité de blé qui vaudra dix-huit pintes de vin, vaudra aussi un mouton, une pièce de cuir préparé, une certaine quantité de fer, et toutes ces choses auront dans le commerce une valeur égale.

Pour exprimer et faire connaître la valeur d’une chose en particulier, il est évident qu’il suffit d’énoncer la quantité d’une autre denrée connue qui en serait regardée comme l’équivalent. Ainsi, pour faire connaître ce que vaut la pièce de cuir d’une certaine grandeur, on peut dire indifféremment qu’elle vaut trois boisseaux de blé ou dix-huit pintes de vin. On peut de même exprimer la valeur d’une certaine quantité de vin par le nombre des moutons ou des boisseaux de blé qu’elle vaut dans le commerce.

On voit par là que toutes les espèces de denrées qui peuvent être l’objet du commerce se mesurent pour ainsi dire les unes les autres, que chacune peut servir de mesure commune ou d’échelle de comparaison pour y rapporter les valeurs de toutes les autres. Et pareillement chaque marchandise devient entre les mains de celui qui la possède un moyen de se procurer toutes les autres, une espèce de gage universel.

§ XXXVII. — Toute marchandise ne présente pas une échelle des valeurs également commode. On a dû préférer dans l’usage celles qui, n’étant pas susceptibles d’une grande différence dans la qualité, ont une valeur principalement relative au nombre ou à la quantité.

Mais quoique toutes les marchandises aient essentiellement cette propriété de représenter toutes les autres, de pouvoir servir de commune mesure pour exprimer leur valeur et de gage universel pour se les procurer toutes par la voie de l’échange, toutes ne peuvent pas être employées avec la même facilité à ces deux usages.

Plus une marchandise est susceptible de changer de valeur à raison de sa qualité, plus il est difficile de la faire servir d’échelle pour y rapporter la valeur des autres marchandises.