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§ LXXIII. — Fausses idées sur le prêt à intérêt.

Le prix du prêt n’est point du tout fondé, comme on pourrait l’imaginer, sur le profit que l’emprunteur espère qu’il pourra faire avec le capital dont il achète l’usage. Ce prix se fixe, comme le prix de toutes les marchandises, par le débat entre le vendeur et l’acheteur, par la balance de l’offre avec la demande. On emprunte dans toutes sortes de vues et pour toutes sortes de motifs.

Tel emprunte pour former une entreprise qui fera sa fortune, tel autre pour acheter une terre, tel pour payer une dette de jeu, tel pour suppléer à la perte de son revenu dont un accident l’a privé, tel pour vivre en attendant qu’il ait pu gagner par son travail. Mais tous ces motifs qui déterminent l’emprunteur sont fort indifférents au prêteur. Celui-ci n’est occupé que de deux choses, de l’intérêt qu’il recevra et de la sûreté de son capital. Il ne s’inquiète pas plus de l’usage qu’en fera l’emprunteur qu’un marchand ne s’embarrasse de l’usage que fera l’acheteur des denrées qu’il lui vend.

§ LXXIV. — Vrai fondement de l’intérêt de l’argent.

On peut donc louer son argent aussi légitimement qu’on peut le vendre ; et le possesseur de l’argent peut faire l’un et l’autre, non-seulement parce que l’argent est l’équivalent d’un revenu et un moyen de se procurer un revenu, non-seulement parce que le prêteur perd pendant le temps du prêt le revenu qu’il aurait pu se procurer, non-seulement parce qu’il risque son capital, non-seulement parce que l’emprunteur peut l’employer à des acquisitions avantageuses ou dans des entreprises dont il tirera de gros profits : le propriétaire peut légitimement en tirer l’intérêt par un motif plus général et plus décisif. Quand tout cela n’aurait pas lieu, il n’en serait pas moins en droit d’exiger l’intérêt du prêt par la seule raison que son argent est à lui. Puisqu’il est à lui, il est libre de le garder ; rien ne lui fait un devoir de le prêter : si donc il le prête, il peut mettre à son prêt telle condition qu’il veut. Il ne fait en cela aucun tort à l’emprunteur, puisque celui-ci se soumet à la condition et n’a aucune espèce de droit à la somme prêtée. Le profit qu’on peut se procurer avec de l’argent est sans doute un des motifs les plus fréquents qui déterminent l’emprunteur à emprunter moyennant un intérêt ; c’est une des sources de la facilité qu’il trouve à payer cet intérêt ; mais ce n’est point du tout ce qui donne droit au prê-