Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/15

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labrée, rachitique, mais pleine comme un œuf de pauvres et de va-nu-pieds. La tribu des Canty nichait dans un galetas au troisième étage. Le père et la mère avaient une espèce de lit dans un coin. Par contre, Tom, sa grand’mère et ses deux sœurs Bet et Nan n’étaient pas limités : ils avaient tout le parquet pour eux et couchaient où et comme ils voulaient. Il y avait bien les restes d’une paire de draps et quelques bottes de paille malpropre, mais cela ne pouvait bonnement faire des lits ; on les roulait en tas le matin, et chacun en prenait, le soir, ce qu’il jugeait bon.

Bet et Nan avaient quinze ans ; elles étaient jumelles. C’étaient de braves filles, très sales, vêtues de haillons et ignorantes comme des carpes. Leur mère était comme elles. Le père et la grand’mère vivaient à couteaux tirés. Ils étaient presque toujours ivres, et alors ils se battaient et assommaient ceux qui voulaient les séparer. Qu’ils eussent bu ou non, ils ne parlaient qu’en jurant et en blasphémant. John Canty volait et sa mère mendiait. Les enfants mendiaient aussi, mais on n’avait pu faire d’eux des voleurs.

Parmi l’ignoble racaille qui grouillait dans ce logis vivait, sans en faire partie, un bon vieux prêtre dépouillé de ses biens par le roi, et n’ayant pour toute ressource qu’une pension de quelques farthings[1]. Il prenait souvent les enfants à l’écart et leur enseignait en secret à discerner le bien et le mal. Le Père André avait aussi donné à Tom quelques

  1. C’est-à-dire de quelques liards. Le farthing, petite monnaie de cuivre, est le quart d’un penny et vaut environ 2 ½ centimes.