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TRISTESSE DE TOM.

— Allons, tu peux encore me casser un bras ou une jambe ! Par exemple, je ne sais pas pourquoi tu t’en prends à moi. C’est Sid qui a cassé le sucrier.

Tante Polly parut perplexe, et Tom espéra qu’elle allait s’efforcer de le consoler ; mais dès qu’elle fut revenue de son étonnement, elle s’abstint par politique de reconnaître ses torts.

— N’importe, dit-elle, je parie que tu as mérité une punition. Il suffit que je tourne le dos pour que tu fasses mille méchancetés.

Néanmoins, sa conscience lui adressait des reproches, et elle brûlait de manifester ses regrets par quelque parole aimante. Mais c’eût été avouer qu’elle avait eu tort, et un pareil aveu aurait compromis la discipline. Elle gronda Sidney pour la forme et vaqua à ses affaires, le cœur serré. Tom bouda dans un coin, exagérant ses griefs. Il devinait que, moralement, sa tante se tenait à genoux devant lui, et cela le flattait. Il était décidé à ne faire aucune avance et à n’en accepter aucune. Il savait qu’un regard plein de tendresse tombait sur lui de temps à autre — il refusa obstinément d’y répondre. Il se vit étendu sur son lit de mort ; il vit sa tante penchée à son chevet, le suppliant de prononcer un mot de pardon ; ce mot, il mourrait sans l’avoir dit, le visage tourné vers le mur. Quels remords elle éprouverait alors ! Puis il s’imagina qu’on le repêchait dans la rivière et qu’on le rapportait inanimé à la maison, les cheveux tout mouillés, les mains froides, le cœur à l’abri des souffrances terrestres. Comme elle se jetterait sur lui ! De grosses larmes couleraient le long de ses joues ; elle prierait le ciel de lui rendre son enfant, se promettant de ne plus le tarabuster. Mais il demeurerait immobile, les membres glacés, incapable de remuer un doigt, et elle regretterait trop tard de lui avoir préféré Sidney.

Il se laissa tellement attendrir par les visions pathétiques de son imagination qu’il dut avaler sa salive, car sa gorge se serrait. Sa vue