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UNE VIE BIEN REMPLIE

que l’on mettait dans le four pour les faire sécher et les conserver.

Après m’être habillé, je pris un énorme bol de café au lait avec du pain chaud ; on me fit payer seulement 1 fr. 25 pour le tout, coucher compris ; ces gens me souhaitèrent de trouver du travail à Fontainebleau et la grand’maman me demanda de l’embrasser pour réparer la faute que j’avais faite de ne pas avoir embrassé la mienne ; et m’embrassa elle-même ; je sortis de cette maison en les remerciant tous ; je courais plutôt que je ne marchais, pour ne pas faire voir que j’avais les larmes aux yeux. Il y a vraiment de braves et bons cœurs dans la classe du peuple.

À Fontainebleau, je trouvai de suite du travail ; le patron était un ivrogne, criant constamment après sa femme et ses deux enfants, âgés de 12 et 13 ans qui, prenant modèle sur leur père, disaient des sottises, faisaient mille misères à leur mère qui les adorait et les comblait de bons soins ; une bonne chose pour moi, c’est que l’on était bien nourri ; le patron, toujours dehors, s’occupant de vente et d’échanges de chevaux et voitures, j’étais seul à la boutique, beau et bon travail de bourrellerie, sellerie et carrosserie ; j’avais fort à faire, j’étais content ; par exemple, il ne faisait pas chaud où je couchais ; c’était un grenier donnant au Nord et, pendant plusieurs jours, le pot de terre qui contenait l’eau pour ma toilette avait éclaté sous l’action de la glace qui s’était formée la nuit.

C’est là que je commençai à lire ; je louais à un cabinet de lecture un volume pour deux sous. Ce fut d’abord le Juif Errant, ensuite des volumes de Voltaire, Lamenais, Michelet.

Cette ville était, selon moi, bien triste : pendant quinze jours, la Grand’Rue n’était qu’un verglas, le musée du Palais aussi était froid, les belles et merveilleuses choses que l’on y voyait ne suffisaient pas à réchauffer les visiteurs ; ce musée me fit une profonde impression, n’ayant jamais rien vu, j’avais peine à me figurer comment les hommes avaient pu faire de pareilles choses.

En lisant les livres que j’ai cités tout à l’heure, j’aurais voulu écrire aussi de belles pages, mais en voyant les meubles, tapisseries, marqueteries, peintures, j’aurais voulu connaître tous ces métiers, tous ces arts.