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UNE VIE BIEN REMPLIE

crevette. Je me rendis comple que c’était par méchanceté et dérision qu’elle parlait de la sorte.

Après le vaudeville, on joua un opéra-comique ; je m’attendais à voir des farces à faire rire ; j’entendis chanter et causer, sans rien comprendre ; tout ce que j’ai retenu, c’est qu’un acteur portail toujours la main à son poignard, sans frapper ; enfin je quittai le théâtre, pestant contre la musique qui m’avait empêché d’entendre les paroles du chant, heureux tout de même, ne regrettant pas mes dix sous et le chemin que j’avais fait.

Je quittai ce pays avec regret, non pas des patrons, mais parce que c’est vraiment beau, les bords de la Seine, d’Héricy à Vulaine.

Je partis travailler à Moret-sur-Loing ; là, c’était autre chose ; la patronne était douce et bonne ; on y était bien nourri, mais le patron était un alcoolique ; chaque matin avant huit heures, il absorbait trente verres d’eau de vie de marc (presqu’un litre), en compagnie des fariniers qui sont nombreux à Moret. Il rentrait se coucher cuver son ivresse, jusqu’à deux heures je restais seul à m’occuper des clients et du travail ; ivrogne et dépensier, il cherchait à se tirer d’affaire n’importe comment.

La clientèle était faite de petits propriétaires, qui recherchent toujours le meilleur marché ; ailleurs, un harnais coûtait 110 francs, mon patron leur livrait pour 85 franes, aussi je travaillais ferme, quatorze heures par jour, mais ce que l’on livrait était fait avec du cuir d’âne qui, au premier effort, cassait comme du verre. Harcelé de questions et de reproches, en l’absence du patron, et ne pouvant pas dire que c’était un malhonnète homme, je partis pour aller plus loin, je suivis les conseils d’un patron eharron qui me dit que si j’allais à Paris, je ne pourrais plus faire mon tour de France, parce que la grande ville retenait les jeunes gens. Je visitai Orléans, Beaugency, Blois, Tours,

Ici, je veux te conter un fait relatif aux sables mouvants de la Loire :

Près des châteaux historiques de Chaumont-Amboise, le lit du fleuve a parfois un kilomètre de large, mais le flot coule sur la rive gauche ; les trois quarts de la largeur forment comme des petits ilôts à sec ou entourés d’un filet