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UNE VIE BIEN REMPLIE

vaux le fo… dans le ravin ; le pays serait bien débarrassé. »

De mon côté, je rêvais aussi une vengeance contre lui, et je l’ai accomplie.

Dans la semaine, sa bonne était venue causer à la boutique avec ma patronne ; elle disait que le dimanche suivant elle aurait beaucoup de travail pour faire à dîner à des parents et amis : Monsieur va les chercher en voiture après déjeuner ; ils assisteront aux vêpres et ensuite visiteront les vignes, puis reviendront dans le clos situé derrière la maison y cueillir des raisins de treille et des prunes de reine-claude pour le dessert ; les dames doivent faire cette cueillette. Ce sera là, dit-elle, un grand plaisir pour M. le Maire, car il prétend qu’à deux lieues à la ronde on ne trouverait pas d’aussi belles prunes. En entendant ces paroles, je n’eus plus qu’une pensée : faire disparaître les prunes.

Le jour arrivé, sitôt que le monde fut entré aux vêpres, je fis un grand détour derrière les maisons ; j’entrai dans le clos par un petit bois et, en moins de cinq minutes, j’avais dévalisé de leurs fruits les six petits pruniers, soit environ une quarantaine de prunes, que je jetai au fur et à mesure dans le bois. Je ne restai pas là pour assister à leur surprise ; mais le lendemain la bonne revint et, avec une satisfaction qu’on lisait dans ses yeux, raconta ce vandalisme à ma patronne : que Monsieur en était malade de colère ; disait que ceux qui font de pareilles choses devraient être guillotinés.

Pour moi, les premiers jours, je n’avais tout de même pas l’esprit en repos ; mais quelque temps après je riais comme les autres, car personne ne m’avait soupçonné. Dans mon for intérieur, j’étais heureux d’avoir exercé cette petite vengeance contre cet homme méchant ; cependant, cette aventure aurait pu me coûter cher.