Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/136

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jamais que le froid estant si pres du chaud, et le chaud si pres du froid, l’un ny l’autre permette à son voisin d’offenser beaucoup. – A la verité, respondit Ligdamon, me faire brusler et geler en mesme temps, n’est pas une des moindres merveilles qui procedent de vous ; mais celle-cy est bien plus grande, que c’est de vostre glace, que procede ma chaleur, et de ma chaleur vostre glace. – Mais il est encor plus merveilleux de voir qu’un homme puisse avoir de semblables imaginations, adjousta la nymphe ; car elles conçoivent des choses tant impossibles, que celui qui les croioit, pourroit estre autant taxé de peu de jugement, que vous, en les disant, de peu de verité. – J’advoue, respondit-il, que mes imagination conçoivent des choses du tout impossibles ; mais cela procede de mon trop d’affection, et de vostre trop de cruauté, et comme cela est un de vos moindres effects, aussi ce que vous me reprochez, n’est un de mes moindres tourments. – Je croy, advousta.t’elle, que vos tourmens, et mes effects, sont en leur plus grande force en vos discours. – Malaisément, respondit Ligdamon, pourroit-on bien dire ce qui ne se peut bien ressentir. – Mal-aisément, repliqua la nymphe, peuvent avoir cognoissance les sentiments des vaines idées d’une malade imagination. – Si la verité, adjousta Ligdamon, n’accompagnoit ceste imagination, à peine aurois-je tant de besoin de vostre compassion. – Les hommes, repondit la nymphe, font leurs trophées de nostre honte. – Ne fissiez vous point mieux, respondit-il, les vostres de nostre perte ? – Je ne veis jamais, repliqua Silvie, des personnes tants perdues, qui se touvassent si bien que vous faites tous.

Puis je vous raconte des cruautez de ceste nymphe, et des patiences de Ligdamon, et plus il m’en revient en la memoire. Quand Clidaman s’en fut allé, comme je vous ay dit, Amasis voulut luy envoyer apres la pluspart des jeunes chevaliers de ceste