Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais Amour, qui se joue ordinairement de la prudence des amants, et se plaist à conduire ses effets au rebours de leurs intentions, rendit par la conversation du berger, Leonide plus necessiteuse d’un qui parlast pour elle, qu’autre qui fust en la trouppe ; car l’ordinaire veue de ce berger, qui n’avoit faute de nulle de ces choses qui peuvent faire aymer, luy fit recognoistre que la beauté a de trop secretes intelligences avec nostre ame pour la laisser si librement approcher de ses puissances, sans soupçon de trahison. Le berger s’en apperceut assez tost, mais l’affection qu’il portoit à Astrée, encore qu’outragé si indignement, ne vouloit luy permettre de souffrir ceste amitié naissante avec patience.

Cela fut cause qu’il se resolut de prendre congé de Galathée, dés qu’il commenceroit de se trouver un peu moins mal ; mais aussi tost qu’il luy en ouvrit la bouche : Comment, luy dit-elle, Celadon, recevez-vous si mauvais traittement de moy, que vous vueilliez partir de ceans avant que d’estre bien guery ? Et lors qu’il luy respondit; que c’estoit de crainte de l’incommoder, et qu’aussi pour ses affaires, il estoit contraint de retourner en son hameau, asseurer ses parents et amis de sa santé, elle l’interrompit, disant : Non, Celadon, n’entrez point en doute que je sois incommodée, pourveu que je vous voye accommodé ; et quant à vos affaires et à vos amis, sans moy, de qui il semble que la compagnie vous déplaise si fort, vous ne seriez pas en ceste peine, puis que desja vous ne seriez plus : Et me semble que le plus grand affaire que vous ayez, c’est de satisfaire à l’obligation que vous m’avez, et que L’ingratitude ne sera pas petite, qui me refusera quelques moments de ceste vie, que vous tenez toute de moy. Et puis il ne faut desormais que vous tourniez plus les yeux sur chose si basse que vostre vie passée ; il faut que vous laissiez vos