Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/161

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de la porte, et nous ayant toutes trois aupres d’elle : J’ordonne, dit-il, que le prix de la beauté soit donné à Astrée, en tesmoignage de quoy je luy presente la pomme d’or, et ne faut que personne doute de mon jugement, puis que je l’ay veue, et qu’encores que fille, j’en ay ressenti la force. En proferant ces mots, il me presenta la pomme que je receus toute troublée, et plus encores quand tout bas il me dit : Recevez ceste pomme pour gage de mon affection, qui est toute infinie comme elle est toute ronde. Je luy respondis : Contente toy, temeraire, que je la reçois pour sauver ta vie, et qu’autrement je la refuserois de ta main. Il ne peut me repliquer de peur d’estre ouy et recogneu, et parce que c’estoit la coutusme, que celle qui recevoit la pomme, baisoit le juge pour remerciement, je fus contrainte de le baiser ; mais je vous asseure, que quand jusques alors je ne l’eusse point recogneu, j’eusse bien découvert que c’estoit un berger, car ce n’estoit point un baiser de fille. Incontinent la foule, et l’applaudissement de la trouppe nous separa, parce que le druyde m’ayant couronnée, me fit porter dans une chaire jusques où estoit l’assemblée, avec tant d’honneur, que chacun s’estonnoit, que je ne m’en resjouyssois d’avantage ; mais j’estois tellement interditte, et si fort combatue d’amour et de despit, qu’à peine sçavois-je ce que je faisois. Quant à Celadon, aussi tost qu’il eut parachevé les ceremonies, il se perdit entre les autres bergers, et peu à peu sans qu’on y prist garde, se retira de la troupe, et laissa ces habits empruntez, pour reprendre les siens naturels avec lesquels il nous vint retrouver ayant un visage si asseuré, que personne ne s’en fust jamais douté.

Quant à moy, lors que je le revis, je n’osois presque tourner les yeux sur luy, pleine de honte et de colere ; mais luy qui s’en prenoit garde, sans en faire semblant, trouva le moyen de m’accoster, et