Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/167

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tant de regret, et revenu avec tant de contentement, que n’estant mort, ny en allant, ny en revenant, je tesmoigneray tousjours qu’on ne peut mourir de trop de plaisir, ny de trop de desplaisir. Permettez-moy donc que je vous voye, à fin que je puisse raconter ma fortune à celle qui est ma seule fortune.

Belle Diane, il est impossible que je me ressouvienne des discours, que nous eusmens alors, sans me reblesser, de sorte que la moindre playe m’en est aussi douloureuse que la mort. Pendant l’absence de Celadon, Artemis, ma tante et mere de Phillis, vint visiter ses parens, et mena avec elle ceste belle bergère dit-elle, monstrant Phillis. Et parce que nostre façon de vivre luy sembla plus agreable que celle des bergers d’Allier, elle resolut de demeurer avec nous, qui ne me fut pas peu de contentement ; car par ce moyen nous vismes à nous pratiquer, et quoy que l’amitié ne fust pas si estroitte qu’elle a esté depuis, toutesfois son humeur me plaisoit de sorte, que je passois assez agreablement plusieurs heures fascheuses avec elle. Et lors que Celadon fut de retour, et qu’il l’eut quelque temps hantée, il en fit un si bon jugement que je puis dire avec verité, qu’il est cause de l’estroitte affection, qui depuis a esté entr’elle et moy. Ce fut à ceste fois que luy, ayant atteint l’aage de dix sept ou dix huict ans, et moy de quinze ou seize, nous commençasmes de nous conduire avec plus de prudence ; de sorte que pour celer nostre amitié, je le priay, ou plustost je le contraignis de faire cas de toutes les bergeres, qui auroient quelque apparence de beauté, afin que la recherche qu’il faisoit de moy, fust plustost jugée commune que particuliere. Je dis que je l’y contraignis, parce que je n’ay pas opinion que sans son frere Lycidas il y eust jamais voulu consentir ; car apres s’estre plusieurs fois jetté à genoux devant moy, pour revoquer le commandement que je luy en faisois, en fin son frere luy dit, qu’il estoit necessaire pour mon