Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/172

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Pensant que la rigueur en deust estre bannie ;
Mais depuis espreuvant leur dure cruauté,
Je creus qu’eterniser en nous leur tyrannie,
Ce n’estoit pas amour, mais plustost lascheté.

Il est vray que c’est d’eux, dont naissent tous les jours
Aux moindres de leurs traits quelques nouveaux amours ;
Mais à quoy sert cela, si comme de sa source
L’eau, soudain qu’elle y naist, incontinent s’enfuit ?
De mesme aussi l’amour, d’une soudaine course
S’enfuit loing de ces yeux, quoy qu’il en soit produit.

A son exemple aussi fuyons-les ces beaux yeux,
Fuyons-les, et croyons que c’est pour nostre mieux.
Et quand ils nous voudroient faire quelque poursuite,
N’attendons point leurs coups n’y pouvant resister,
Car il vaut beaucoup mieux se sauver à la fuitte,
Que d’attendre la mort qu’on peut bien eviter.

Je croy que Lycidas n’eust pas si promptement mis fin à la cruauté dont Phillis refusoit son affection, si de fortune un jour, qu’elle et moy, selon nostre coustume, nous allions promener le long de Lignon, nous n’eussions rencontré ce berger dans une isle de la riviere, en lieu fort escarté, et où il n’y avoit pas apparence de feinte. Nous le vismes d’un des costez de la riviere, qui estoit bien assez large et profonde pour nous empescher d’aller où il estoit, mais non pas d’ouyr les vers qu’il alloit plaignant, en traçant à ce qu’il sembloit quelques chiffres sur le sable avec le bout de sa houlette, que nous ne pouvions recognoistre, pour la distance qu’il y avoit de luy à nous. Mais les vers estoient tels.


Madrigal

Qu’il ne doit point esperer d’estre aimé.

 
Pensons-nous en l’aimant,
Que nostre amour fidelle
Puisse jetter