Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/174

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chemin, afin que nous ouyssions ses plaintes dissimulées ; autrement n’eussent –elles pas esté aussi bonnes, dictes à nous mesmes, qu’à ces bois, et à ces rives sauvages ? – Mais, ma soeur, luy repondis-je, vous le luy avez deffendu. – Voilà, me repliqua-t’elle, une grande connoissance de son peu d’amitié, y a t’il quelque commandement assez fort pour arrester une violente affection ? Croyez, ma soeur, que l’amitié qui peut flechir, n’est pas forte : pensez-vous que s’il eust desobey à mes commandemens, je ne l’eusse pas tenu pour m’aimer d’avantage ? – Mais ma soeur, en fin, luy dis-je, il vous a obey. – Et bien, me repliqua-t’elle, il m’a obey, et en cela je le tiens pour fort obeissant, mais en ce qu’il a du tout laissé ma recherche, je le tiens pour fort peu passionné. Et quoy ? estoit-il point d’advis qu’à la premiere ouverture qu’il m’a faicte de sa bonne volonté, j’en prisse des tesmoins, à fin qu’il ne s’en pûst plus desdire ?

Si je ne l’eusse interrompue, je croy qu’elle eust continué encore long temps ce discours. Mais parce que je desirois que Lycidas fust traité d’autre sorte, pour la peine que Celadon en souffroit, je luy dis, que ces façons de parler estoient à propos avec Lycidas, mais non pas avec moy, qui sçavois bien que nous sommes obligées de monstrer plus de mécontentement quand on nous parle d’amour, que nous n’en ressentons, à fin d’espreuver par là, quelle intention ont ceux qui parlent à nous ; que je la louerois, si elle usoit de ces termes envers Lycidas, mais que c’estoit trop de meffiance envers moy, qui ne luy avois jamais celé que ce j’avois de plus secret dans l’ame ; et que pour conclusion, puis qu’il estoit impossible qu’elle evitast d’estre aimée de quelqu’un, qu’il valoit beaucoup mieux que ce fust de Lycidas, que de tout autre, puis qu’elle devoit desja estre asseurée de son affection. A quoy elle me respondit, qu’elle n’avoit jamais pensé de dissimuler envers moy, et qu’elle seroit