Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/186

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pour le desir que j’ay de sçavoir qu’elle ordonnera de moy. Ce mot fit montrer la couleur au visage de Phillis, se doutant bien que son pardon avoit esté plus grand, que son intention ; à quoy Lycidas prenant garde : Je n’ay point assez de courage, me dit-il, pour ouyr la declaration que vous luy en ferez. Pardonnez moy donc, belle maistresse, [se tournant vers Phillis], si je vous romps si tost compagnie, et si ma vie a despleu, et que ma mort vous puisse satisfaire, ne soyez point avare de mon sang. A ce mot, quoy que Phillis le r’appellast, il ne voulust revenir, au contraire poussant la porte il nous laissa seules.

Vous pouvez croire que Phillis ne fut paresseuse de s’enquerir s’il y avoit quelque chose de nouveau et d’où venoit une si grande crainte. Sans l’arrester d’un long discours, je luy dis ce qui en estoit, et ensemble mis toute la faute dessus nous, qui avions esté si mal advisées de ne prevoir que sa jeunesse ne pouvoit faire plus de resistance aux recherches de ceste folle, et que son desplaisir en estoit si grand, que son erreur en estoit pardonnable. Du premier coup je n’obtins pas d’elle ce que je desirois ; mais, peu de jours apres, Lycidas par mon conseil se vint jetter à ses genoux. Et parce que pour ne le voir point, elle s’en courut en une autre chambre, et de celle là en une autre, fuyant Lycidas, qui l’alloit poursuivant, et qui estoit resolu, ainsi qu’il disoit, de ne la laisser en paix, qu’il n’eust le pardon, ou la mort, en fin, ne sçachant plus où fuyr, elle s’arresta en un cabinet, où Lycidas entrant et fermant les portes, se remit à genoux devant elle, et sans luy dire autre chose, attendoit l’arrest de sa volonté. Ceste affectionnée opiniastreté eut plus de force sur elle, que mes persuasions, et ainsi apres avoir demeuré quelque temps sans luy rien dire : Va, lui dit-elle, importun,