Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/194

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vous diray. Il y a un berger nommé Squilindre demeurant sur les lisieres de Forests, en un hameau appellé Argental, homme fin, et sans foy, et qui entre ses autres industries sçait si bien contrefaire toutes sortes de lettres, que celuy mesme de qui il les veut imiter, est bien empesché de recognoistre le fausseté : ce fut à cet homme, à qui Alcippe monstra celle qu’il avoit trouvée de moy au pied de l’arbre, ainsi que je vous ay dit, et luy en fit escrire une autre à Celadon en mon nom, qui estoit telle.

Lettre contrefaite d’Astrée à Celadon.

Celadon, puis que je suis contrainte par le commandement de mon pere, vous ne trouverez point estrange que je vous prie de finir cest qu’autrefois je vous ay conjuré de rendre eternel. Alcé m’a donnée à Corebe ; et quoy que le parti me soit avantageux, si est-ce que je ne laisse de ressentir beaucoup la separation de nostre amitié. Toutesfois, puis que c’est folie de contrarier à ce qui ne peut arriver autrement, je vous conseille de vous armer de resolution, et d’oublier tellement tout ce qui s’est passé entre nous, que Celadon n’ait plus de memoire d’Astrée, comme Astrée est containte d’ores en là, de perdre pour son devoir tous les souvenirs de Celadon.

Cette lettre fut portée assez finement à Celadon par un jeune berger incogneu. Dieux ! quel devint-il d’abord, et quel fut le desplaisir qui luy serra le cœur ? Donc, dit-il, Astrée, il est bien vray qu’il n’y a rien de durable au monde, puis que ceste ferme resolution que vous m’avez si souvent jurée, s’est changée si promptement ! Donc vous voulez que je sois tesmoin, que quelque perfection qu’une femme puisse avoir, elle ne peut se despouiller de son inconstance naturelle ? Donc le Ciel a consenty, que pour un plus grand supplice, la vie me restast,