Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/199

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il pas par mal-heur, que la recherche de Corebe alla continuant, si avant qu’Alcé, Hippolyte, et Phocion ne me laissoient point de repos ?

Et toutesfois ce ne fut pas de leur costé dont nostre mal-heur proceda, quoy que Corebe en partie en fut cause ; car lors qu’il me vint rechercher, parce qu’il estoit fort riche, il amena avec luy plusieurs bergers, entre lesquels estoit Semire, berger à la verité plein de plusieurs bonnes qualitez, s’il n’eust esté le perfide, et le plus cauteleux homme qui fut jamais. Aussi tost qu’il jetta les yeux sur moy, il fit dessein de me servir, sans se soucier de l’amitié que Corebe luy portoit. Et parce que Celadon et moy, pour cacher nostre amitié, avions fait dessein, comme je vous ay desja dit, de feindre, luy, d’aimer toutes les bergeres, et moy, de patienter indifferemment la recherche de toute sorte de bergers, il creut au commencement que la bonne reception que je luy faisois, estoit la naissance de quelque plus grande affection, et n’eust si tost recogneu celle qui estoit entre Celadon et moy, si de mal-heur il n’eust trouvé de mes lettres. Car encor que pour sa derniere perte on cogneut bien qu’il m’aimoit, si y en avoit-il fort peu qui creussent que je l’aimasse, tant je m’y estois conduite froidement, depuis que Celadon est retourné. Et parce que les lettres qu’Alcippe avoit trouvées au pied de l’arbre, nous avoient cousté si cher, nous ne voulusmes plus y fier celles que nous nous escrivions, mais iventasmes un autre artifice qui nous sembla plus asseuré. Celadon avoit apiecé au droit du cordon de son chappeau, par le dedans, un peu de feutre si proprement, qu’à peine se voyoit-il, et cela se serroit avec une gance à un bouton par dehors, où il faignoit de retrousser l’aile du chappeau ; il mettoit là dedans sa lettre, et puis faisant semblant de se jouer, ou il me jettoit son