Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/200

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chappeau, ou je le luy ostois, ou il le faisoit tomber, ou feignoit pour mieux courre, ou sauter, de le mettre en terre, et ainsi j’y prenois ou mettois la lettre. Je ne sçay comme par mal-heur, un jour que j’en avois une entre les mains pour l’y mettre, en courant apres quelque loup, qui estoit venu passer aupres de nos troupeaux, je la laissay tomber, si mal-heureusement pour moy, que Semire, qui venoit apres, la releva, et vid qu’elle estoit telle.

Lettre d’Astrèe à Celadon

Mon cher Celadon, j’ay receu vostre lettre, qui m’a esté autant agreable, que je sçay que les miennes le vous sont, et n’y ay rien trouvé qui ne me satisface, hor-mis les remerciements que vous me faites, qui ne me semblent à propos, ny pour mon amitié, ny pour ce Celadon, qui dés long temps s’est desja tout donné à moy : car s’ils ne sont point vostres, ne sçavez-vous pas que ce qui n’a point ce titre ne sçauroit me plaire ? que s’ils sont à vous, pourquoy me donnez-vous separé, ce qu’en une fois j’ay receu, quand vous vous donnastes tout à moy ? N’en usez donc plus, je vous supplie, si vous ne me voulez faire croire, que vous avez plus de civilité que d’amour.

Depuis qu’il eut trouvé cette lettre, il fit dessein de ne me parler plus d’amour, qu’il ne m’eust mise mal avec Celadon, et commença de ceste sorte. En premier lieu il me supplia de luy pardonner s’il avoit esté si temeraire que d’avoir osé hausser les yeux à moy, que ma beauté l’y avoit contraint, mais qu’il recognoissoit bien son peu de merite, et qu’à ceste occasion il me protestoit qu’il ne s’y mesprendoit jamais plus, et que seulement il me supplioit d’oublier son outrecuidance. Et puis il se rendit tellement amy et familier de Celadon, qu’il sembloit qu’il ne peust rien aimer d’avantage ; et