Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/209

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la main du visage, et luy dit : Non, non, sage bergere, ne contraignez point Lycidas, laissez luy user de toutes les rigoureuses paroles qu’il luy plaira. Je sçay que ce sont des effets de sa juste douleur : toutesfois je sçay bien aussi, qu’en cela il n’a pas fait plus de perte que moy. Lycidas oyant ses paroles, et la façon dont Astrée les proferoit, donna tesmoignage avec ses larmes qu’elle l’avoit attendry, et ne pouvant se commander si promptemens, quelque deffense que Phillis et Diane fissent, il se defit de leurs mains, et s’en alla d’un autre costé ; dequoy Phillis s’appercevant, afin d’en avoir entiere victoire, le suivit, et luy sceut si bien representer le desplaisir d’Astrée, et la meschanceté de Semire, qu’enfin elle le remit bien avec sa compagne.

Mais cependant Leonide suivoit son chemin à Feurs, et quoy qu’elle se hastast, elle ne peut outrepasser Ponsins, parce qu’elle avoit dormi trop long temps. Cela fut cause qu’elle s’esveilla beaucoup avant le jour, desireuse de retourner de bonne heure, afin de pouvoir demeurer quelque temps à son retour, avec les bergeres qu’elle venoit de laisser. Toutesfois, elle n’osa partir avant que la clarté luy monstrast le chemin, de peur de se perdre, quoy qu’il luy fust impossible de fermer l’œil le reste de la nuict. Cependant qu’elle alloit entretenant ses pensées, et qu’elle y estoit le plus attentive, elle ouyt que quelqu’un parloit assez pres d’elle, car il n’y avoit qu’un entre-deux d’aiz fort delié, qui separoit une chambre en deux, d’autant que le maistre du logis estoit un fort honneste pasteur, qui par sa courtoisie, et pour les loix de l’hospitalité, recevoit librement ceux qui faisoient chemin, sans s’enquerir quels quels ils estoient ; et parce que son logis estoit assez estroit, il avoit esté contraint de faire des entre-deux d’aiz pour avoir plus de chambres. Or quand la nymphe y arriva, il y avoit deux estrangers