Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/214

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garde de moy, et le bruit de ma vie fut si grand, qu’il parvint jusques aux aureilles d’Amasis, qui se venoit bien souvent promener dans ces grands jardins de Montbrison. Et entre autres, une fois qu’elle y estoit, Silaire, Silvie, Leonide et plusieurs autres de leurs compagnes, vindrent se promener le long de mon petit ruisseau, où pour lors je faisois semblant d’amasser quelques herbes. Aussi tost que je recogneus qu’elles m’avoient apperceu, je me retiray au grand pas en ma cabane ; elles qui estoient curieuses de me voir, et de parler à moy, me suivrent à travers ces grands arbres. Je m’estois desja mis à genoux, mais quand je les ouys approcher, je m’en vins sur la porte, où la premiere que je rencontray, fut Leonide. Et parce qu’elle estoit preste d’entrer, la repoussant un peu, je luy dis assez rudement : Leonide, la divinité que je sers, vous commande de ne profaner ses autels. A ces mots elle recula, un peu surprise, car mon habit de druyde me faisoit rendre de l’honneur, et le nom de la divinité donnoit de la crainte. Et apres s’estre r’asseurée, elle me dit : Les autels de vostre dieu, quel qu’il soit, ne peuvent estre profanez de recevoir mes vœux, puis que je ne viens que pour luy rendre l’honneur que le Ciel demande de nous. – Le Ciel, luy respondis-je, demande à la verité les vœux, et l’honneur, mais non point differents de ce qu’il les ordonne ; par ainsi, si le zele de la divinité que je sers, vous ameine icy, il faut que vous observiez ce qu’elle commande. – Et quel est son commandement ? adjousta Silvie. – Silvie, luy dis-je, si vous avez la mesme intention que vostre compagne, faites toutes deux ce que je vous diray, et puis vos vœux luy seront agreables. Avant que la lune commence à decroistre, lavez-vous avant jour la jambe droitte jusques au genouil, et le bras jusques au coude dans ce ruisseau qui passe devant ceste saincte caverne ; et puis, la jambe, et