Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/242

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pour en avoir le nom que l’effet: car outre qu’il estoit maladif, sa vieillesse qui approchoit de soixante et quinze ans, luy diminua tellement les forces, qu’elle le contraignit de laisser ceste jeune vefve, avant presque qu’elle fut vraiement marriée. L’amitié qu’elle luy portoit ne luy fit pas beaucoup ressentir ceste perte, ny son humeur aussi, qui n’a jamais esté de prendre fort à coeur les accidents qui luy surviennent. Demeurant donc fort satisfaite en soy-mesme, de se voir delivrée tout à coup de deux pesants fardeaux, à sçavoir, de l’importunité d’un fascheux mary, et de l’authorité que ses parents avoient eccoustumé d’avoir sur elle, incontinent elle se mit à bon escient au monde, et quoy que sa beauté, ainsi que vous avez veu, ne soit pas de celles qui peuvent contraindre à se faire aimer, si est-ce que ses affetteries ne deplaisoient point `s la pluspart de ceux qui la voyoient.

Elle pouvoit avoir dix sept ou dixhuict ans, age tout propre à commettre beaucoup d’imrpudences, quand on a la liberté. Cela fut cause que Salian, son frere, tres-honneste, et tres-advisé berger, et des plus grands amis que j’eusse, ne pouvant supporter ses libres et coustumieres recherches, à fin de luy en oster les commoditez en quelque sorte, se resolut de l’esloigner de son hameau, et la mettre en telle compagnie, qu’elle peust passer son aage plus dangereux sans reproche. Pour cet effect, il pria Cleante de trouver bon qu’elle fist compagnie à sa petite fille Aminthe, parce qu’elles estoient presque d’un aage, encore que Stelle en eust quelque peu d’avantage. Et d’autant que Cleante le trouva bon, elles commencerent ensemble une vie si privée, et si familiere, que jamais ces deux bergeres n’estoient l’une sans l’autre. Plusieurs s’estonnoient qu’estans si differentes d’humeurs, elles peussent se lier si estroittement; mais la douce pratique D’Aminthe ne dedisoit les deliberations de sa compagne, et