Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/247

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parler à elle, et voyant que Lysis l’avoit laissée seule, je m’en allay l’accoster. Car il faut que j’avoue que ses attraits et mignardises avaient eu plus de force sur mon ame, que les outrages qu’elle avoit fait à Lysis ne m’avoyent peu donner de cognoissance de l’imperfection de son esprit. Et comme chacun va tousjours flattant son desir, je m’allois figurant que ce que les merites de Lysis n’avoient peu obtenir sur elle, ma bonne fortune me le pourroit acquerir. Tant que sa recherche dura, je ne voulus point faire paroistre mon affection, car outre le parentage qui estoit entre luy et moy, encor’ y avoit-il une tres-estroitte amitié ; mais lors que je veis qu’il s’en despartoit, croyant que la place fust vacante [je n’avois pris garde à la recherche de Semire] je creus qu’il estoit plus à propos de luy en descouvrir quelque chose, que non pas d’attendre qu’elle eust quelque autre dessein. Ainsi donc m’adressant à elle, et la voyant toute pensive, je luy dis : qu’il falloit bien que ce fust quelque grande occasion qui la rendoit ainsi changée, car ceste tristesse n’estoit pas coustumiere à sa belle humeur. – C’est ce fascheux de Lysis, me respondit-ell, qui se ressouvient tousjours du passé, et me va reprochant le refus que j’ay fait de luy. – Et cela, luy dis-je, vous ennuye-t’il ? – Il ne peut estre autrement, me respondi elle : car on ne despouille pas une affection comme une chemise, et il prit si mal mon retardement qu’il l’a tousjours nommé un congé. – Vrayement, luy dit-je, Lysis ne meritoit pas l’honneur de vos bonnes graces, puis que, ne les pouvant acheter par ses merites, il devoit pour le moins essayer de le faire par ses longs services accompagnez d’une forte patience ; mais son humeur bouillante, et peut-estre son peu d’amitié ne le luy permirent pas. Si ce bon-heur ,e fust arrivé comme à luy, avec quelle affection l’eussé-je receu, et avec