Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/271

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de tort. Et lors que Amidor usoit de remerciemens, elle me disoit : O qu’il est sot de croire que ces offrandes s’adressent à son autel !

Mais il sceut si bien dissimuler, qu’il s’acquit du tout Amidor, et gaigna tant sur sa bonne volonté, qu’estant de retour, et redisant ce que Filandre l’avoit prié de dire de sa part à Filidas, y adjousta tant d’avantageuses louanges, que ceste fille prit envie de le voir. Et quelques jours apres sans m’en rien dire, [parce que quand je parlois de luy, c’estoit avec une certaine nonchalence, qu’il sembloit que ce fust par mépris] ils l’envoyerent prier de les venir voir. Dieu sçait s’il s’en fit solliciter plus d’une fois, car c’estoit tout ce qu’il desiroit le plus, luy semblant qu’il estoit impossible que son dessein eut meilleur commencement.

Et de fortune, le jour qu’il devoit arriver, Daphnis et moy, nous promenions sous quelques arbres, qui sont de l’autre costé de ce pré le plus pres d’icy, et ne sçachant presque à quoy nous entretenir, cependant que nos trouppeaux paissoient, nous allions incertaines où nos pas sans élection nous guidoient, lors que nous entr’ouismes une voix d’assez loin, et qui d’abord nous sembla estrangere. Le desir de la cognoistre nous fit tourner droit vers le lieu où la voix nous conduisoit, et parce que Daphnis alloit la premiere, elle recogneut Filandre avant que moy, et me fit signe d’aller doucement. Et quand je fus pres d’elle, s’approchant de mon oreille, elle me nomma Filandre, qui du dos appuyé contre un arbre entretenoit ses pensées, lassé [comme il y avoit apparence] de la longueur du chemin. Et par hazard, quand nous y arrivasmes, il recommença de ceste sorte :


D’un cœur outrecuidé,
Je mesprisois Amour, ses ruses et ses charmes,
Lors que changeant ses armes,
Des vostres contre moy, le trompeur s’est aidé,
Et toutesfois avant