Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/281

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toutes ces importunitez pour le contentement de son frere, si est ce qu’elle, qui croyoit Filidas estre homme, en avoit tant d’horreur, qu ce n’estoit pas une foible contrainte que celle qu’elle se faisoit de parler à elle.

Quant à nous, lors que nous fusmes retirées seules, Daphnis et moy, fismes à Filandre toutes les caresses qu’entre femmes on a de coustume, je veux dire entre celles, où il y a de l’amitié et de la privauté, que ce berger recevoit avec tant de transport qu’il m’a depuis juré, qu’il estoit hors de soy-mesme. Si je n’eusse esté bien enfant, peut-estre que ses actions me l’eussent fait recognoistre, et toutesfois Daphnis ne s’en douta point, tant il se sçavoit bien contrefaire. Et parce quIl estoit des-ja tard apres le soupper, nous nous retirasmes à part, cependant que Callirée et Filidas se promenoient le long de la chambre. Je ne sçay quant à moy quels furent leurs discours ; mais les nostres n’estoient que des asseurances d’amitié, que Filandre me faisoit d’une si entiere affection, qu’il estoit aisé à juger, que si plustost, et en autre habit il ne m’en avoit rien dit, il ne le falloit point blasmer de deffaut de volonté, mais de hardiesse seulement. Pour moy j’essayois de luy en faire paroistre de mesme, car le croyant fille, je pensois y estre obligée par sa bonne volonté, par son merite, et par la proximité d’elle et de Daphnis.

Dés lors Amidor, qui auparavant m’avoit voulu du bien, commença à changer ceste amitié, et à aimer la fainte Callirée, parce que Filandre, qui craignoit que sa demeure ne despleust à ce jeune homme, faisoit tout ce qu’il pouvoit pour luy complaire. Le volage humeur d’Amidor ne luy peut permettre de recevoir ces faveurs sans devenir amoureux. Ce que je ne trouvay pas estrange, d’autant que la beauté, le jugement, et la curiosité du berger, qui ne dementoient