Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/290

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capable d’y plier mesme la voix, et la hausser, et baisser aux tons qui sont harmonieux, encor que d’ailleurs on ne sçache rien en cest art ; de mesme, la bergere qui oyt souvent les discours d’un amant, y plie les puissances de son ame, et encor qu’elle ne sçache point aymer, ne laisse à se porter insensiblement aux ressentiments de l’amour. Je veux dire qu’elle aime la compagnie de ceste personne, en ressent l’éloignement, a pitié de son mal, et brusle en effet sans y penser. Voyez vous, Filandre, ne faites pas vostre profit de ces instructions ailleurs, et ne croyez pas que si je ne vous aimois, et n’avois pitié de vous, je vous decouvrisse ces secrets de l’escole ; mais recevez ce que je vous dis pour arrhes de ce que je desire faire pour vous.

Avec semblables paroles, voyant que le jour approchoit ; ils se retirent dans le logis, non pas sans se moquer de l’amour d’Amidor, qui le prenoit pour fille, et de r’apporter une partie de ses discours pour en rire. Et s’estans sur le matin endormis en ceste resolution, ils demeurent bien tard au lict, pour se recompenser de la perte de la nuict ; ce qui donna commodité au jeune Amidor de les y surprendre, et n’eust esté que presque en mesme temps j’entray dans leur chambre, je croy qu’il eust peut-estre recogneu la tromperie, car s’estant adressé au lict de la fainte Callirée, quoy qu’elle jouast bien son personnage, luy parlant avec toute la modestie qu’il luy estoit possible, et luy monstrant un visage severe, pour luy oster la hardiesse de ne se point hazarder, si est-ce que son affection l’eust peut-estre licencié, et que ses mains indiscrettes eussent descouvert son sein. Mais à mon abord Daphnis me pria de l’en empescher de les separer, ce que je fis avec beaucoup de contentement de Filandre, qui feignant de