Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/300

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le matin elle me le raconta avec tant d’aspreté contre Amidor, et si avantageusement pour Filandre, qu’il faut advouer que depuis je ne me peus si aisément deffendre de l’aimer, lors que je le recogneus, me semblant que sa bonne volonté m’y obligeoit. Mais Daphnis, qui sçavoit bien que si je l’aimois alors, c’estoit pour le croire Callirée, luy conseilloit ordinairement de se decouvrir à moy, disant qu’elle croyoit bien qu’au commencement je le rejetterois, et m’en fascherois, mais qu’en fin toutes choses se remettroient, et que de son costé elle y travailleroit de sorte, qu’elle esperoit en venir à bout. Mais elle ne peut avoir d’assez fortes persuasions pour luy en donner le courage, qui fit resoudre Daphnis de le faire elle mesme sans qu’il le sçeust, prevoyant bien que Gerestan voudroit r’avoir sa femme, et que ceste finesse auroit esté inutile.

En ceste resolution, un jour qu’elle me trouva seule, apres quelques discours assez ordinaires : Mais que sera-ce en fin, dit-elle de ceste folle de Callirée ? je croy en verité que vous luy ferez perdre l’entendement, car elle vous aime si passionnément, que je ne croy pas qu’elle puisse vivre. Si Filidas va un jour coucher hors de ceans, et que vous puissiez sortir une nuict de vostre chambre, il faut que vous la voyez en l’estat où je l’ay trouvée plusieurs fois ; car presque toutes les nuicts qui sont un peu claires, elle les passe dans le jardin, et se plaist de sorte en ses imaginations, que je ne la puis retirer qu’à force de ses resveries. – Je voudroy bien, luy respondis-je, luy pouvoir r’apporter du soulagement, mais que veut-elle de moy ? ne luy rends-je pas amitié pour amitié ? ne luy en fais-je assez paroistre par toutes mes actions ? manqué-je à quelque sorte de courtoisie, ou de devoir envers elle ?– Cela est vray. Mais, me repliqua t’elle, si vous aviez ouy ses discours, je