Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/313

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Amy, les dieux n’ont point fait naistre en nous une si belle et honneste affection, our l’esteindre si promptement, et pour ne nous en laisser que le regret. J’espere qu’ils vous donneront encores tant de vie, que je pourray vous faire cognoistre que je ne vous cede point en amitié, non plus que vous ne le faites à personnes en merite. Et pour preuve de tout ce que je vous dy, demandez seulement tout ce que vous voudrez de moy, car il n’y a rien que je vous puisse ny vueille refuser. A ces derniers mots, il me prit la main, et se l’ap- prochant de la bouche : Je baise, dit-il, ceste main, pour remerciement de la grace que vous me faites. Et lors dressant les yeux au ciel : O dieux, dit-il, je ne vous requiers qu’autant de vie qu’il m’en faut pour l’accomplissement de la promesse que Diane me vient de faire. Et puis adressant sa parole à moy, avec tant de peine, qu’à peine pouvoit-il proferer les mots, il me dit ainsi : Or, ma belle maistresse, escoutez donc ce que je veux de vous, puis que je ne ressens l’aigreur de la mort, que pour vous. Je vous conjure par mon affection et par vostre promesse, que j’emporte ce contentement hors de ce monde, que je puisse dire que je suis vostre mary, et croyez, si je le reçois, que mon ame ira tres-contente en quelque lieu qu’il luy faille aller, ayant un si grand tes- moignage de vostre bonne volonté.

Je vous jure, belles bergeres, que ces paroles me toucherent si vivement, que je ne sçay comme j’eus assez de force à me soustenir, et croy, quant à moy, que ce fut la seule volonté que j’avois de luy complaire, qui m’en donna le courage. Cela fut cause qu’il n’eut pas plustost fini sa demande, que luy retendant la main, je luy dis : Filandre, je vous accorde ce que vous me requerez, et vous jure devant tous les dieux, et particulierement devant les divinitez qui sont en ces lieux, que Diane se