Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

congé. Ce qui m’en ostoit plus les moyens, estoit, que je ne voyois point que Tircis affectionnast autre bergere ; car tout ce qu’il faisoit avec Cleon ne pouvoit donner soupçon, que ce ne fust enfance, pius que pour lors elle ne pouvoit avoir plus de neuf ans. Et quand elle commença à croistre, et qu’elle peut ressentir les traits d’amour, elle se retira de sorte de luy, qu’il sembloit que cest esloignement estoit capable de la garantir de telles blesseures. Mais Amour plus fin qu’elle, sceut de telle sorte approcher de son ame les merites, l’affection, et les services de Tircis, qu’en fin elle se trouva au milieu, et tellement entournée de toutes parts, que si de l’une elle evitoit d’estre blessée, la playe qu’elle recevoit de l’autre en estoit plus grande et plus profonde. Si bien qu’elle ne peut recourre à nul meilleur remede qu’à la dissimulation, non pas pour ne recevoir les coups, mais seulement pour empescher que son ennemy ny autre les apperceust. Elle peut bien toutesfois user de ceste feinte, quand elle ne commença que d’avoir la peau esgratignée ; mais quand la blesseure fut grande, il fallut se rendre, et s’advouer vaincue. Ainsi voilà Tircis aimé de sa Cleon, le voilà qui jouyt de toutes les honnestes douceurs d’une amitié, quoy que du commencement il ne sceust presque quel estoit son mal, ainsi que ces vers le tesmoignent, qu’il fit en ce temps-là .

Sonnet


Mon Dieu ! quel est le mal dont je suis tourmenté ?
Depuis que je la veis, ceste Cleon si belle,
J’ay senty dans le cœur une douleur nouvelle,
Encores que son œil me l’ait soudain osté.

Depuis, d’un chaud desir je me sens agité,
Si toutesfois desir tel mouvement s’appelle,