Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/332

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De qui le jugement tellement s’ensorcelle,
Qu’il joint à son dessein ma propre volonté.

De ce comencement mon mal a pris naissance,
Car depuis le desir accreut sa violence,
Et soudain je perdis et repos et repas.

Au lieu de ce repos nasquit l’inquietude,
Qui serve du desir bâttti ma servitude :
C’est le mal que je sens, et que je n’entens pas.

Depuis que Tircis eut recogneu la bonne volonté de l’heureuse Cleon, il la receut avec tant de contentement, que son cœur n’estant capable de le celer, fut contraint d’en faire part à ses yeux qui soudain, Dieu sçait combien changez de ce qu’ils souloient estre, ne donnoient que trop de cognoissance de leur joye. La discretion de Cleon estoit bien telle, qu’elle ne donna aucun avantage à Tircis sur son devoir ; si est-ce que jalouse de son honneur, elle le pria de feindre de m’aimer, afin que ceux qui remarqueroient ses actions, s’arrestans à celles-cy toutes evidentes, n’allassent point recherchant celles qu’elle vouloit cacher. Elle fit election de moy plustost que de toute autre, s’estant apperceue de long temps que je l’aimois, et sçachant combien il est mal-aisé d’estre aimée sans aimer, elle pensa que facilement chacun croiroit cette amitié, n’y en ayant guieres parmi nous, qui ne se fussent apperceues de la bonne volonté que je luy portois. Luy qui n’avoit dessein que celuy que Cleon approuvoit, tascha incontinent d’effectuer ce qu’elle luy avoit commandé.

Dieux ! quand il me souvient des douces paroles dont il usoit envers moy, je ne puis, encores que mensongeres, m’empescher de les cherir, et de remercier Amour des heureux moments, dont il m’a fait jouir en ce temps-là, et souhaitter que ne pouvant estre plus heureuse, je fusse pour le moins tousjours ainsi trompée. Et certes Tircis