Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/334

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craignoit, ainsi que je vous ay dit, que je ne vinsse à descouvrir cet artifice, voulut le cacher sous un autre, en conseilla Tircis de me faire entendre que chacun commençoit de recognoistre nostre amitié, et d’en faire des jugements assez mauvais, qu’il estoit necessaire de faire cesser ce bruit par la prudence, et qu’il falloit qu’il fist semblant d’aymer Cleon, à fin que par ce divetissement, ceux qui en parloient mal, se teussent. Et vous direz, luy disoit-elle, que vous m’eslisez plustost qu’une autre, pour la commodité que vous aurez d’estre pres d’elle, et de luy parler. Moy, qui estois toute bonne, et sans finesse, je trouvay ce conseil tres-bon ; si bien qu’avec ma permission, depuis ce jour, quand nous nous trouvions tous trois ensemble, il ne faisoit point de difficulté d’entretenir sa Cleon, comme il avoit accoustumé.

Et certes il y avoit bien du plaisir pour eux, et pour tout autre qui eust sceu ceste dissimulation : car, voyant la recherche qu’il faisoit de Cleon, je pensois qu’il se mocquast, et à peine me pouvois-je empescher d’en rire ; d’autre costé, Cleon, prenant garde à mes façons, et sçachant la tromperie en quoy je la pensois estre, avoit une peine extreme de n’en faire point de semblant. Mesme que ce trompeur luy faisoit quelquefois des clins d’œil, qu’elle ne pouvoit dissimuler, sinon trouvant excuse de dire de quelqu’autre sujet, qui bien souvent estoit si hors de propos, que j’en accusois l’amour qu’elle portoit au berger, et le contentement que ceste tromperie luy r’apportoit. Et voyez si j’estois bonne en mon ame, qui ressentois par pitié le desplaisir qu’elle recevroit, quand elle sçauroit la verité ! mais depuis je trouvay que je me plaignois en sa personne. Toutesfois je m’excuse, car qui n’y eus testé deceue, puis que l’amour, aussi tost qu’il se saisit entierement d’une ame, la despouille incontinent de toute deffiance envers la personne aymée ? et ce dissimulé berger jouoit de telle sorte son personnage, que si