Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/357

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les outrages et les services soient egalement recompensez ? Et puis se taisant pour quelque temps, en fin les yeux tendus au ciel, et les bras croisez, se laissant aller à la renverse, il reprit ainsi : Pour la fin, il te plaist, Amour que je rende tesmoignage qu’il n’y a point de constance en nulle femme, et que Phillis pour estre de ce sexe, quoy que remplie de toute autre perfection, est sujette aux mesmes loix de ceste inconstance naturelle. Je dis ceste Phillis, de qui l’amitié m’a esté autrefois plus asseurée que ma volonté mesme. Mais quoy, o ma bergere ! ne suis-je pas mesme Lycidas, de qui vous avez monstré de cherir si fort l’affection ? ce que vous avez autrefois jugé de recommandable en moy, est-il tellement changé, que vous trouviez plus agreable un Silvandre incogneu, un vagabond, un homme que toute terre mesprise, et ne daigne advouer pour sien ?

Laonice qui escoutoit ce berger, oyant nommer Phillis et Silvandre, desireuse d’en sçavoir d’avantage, commença de luy prester l’aureille à bon escient, et si à propos pour elle, qu’elle apprit, avant que de partir de là, tout ce qu’elle eust peu desirer des plus secrettes pensées de Phillis. Et de là, prenant l’occasion de luy desplaire ou à Silvandre, elle resolut de mettre ce berger encor plus avant en ceste opinion, s’asseurant que si elle aimoit Lycidas, elle le rendroit jaloux, et si c’estoit Silvandre, elle en divulgueroit l’amour de telle sorte, que chacun le sçauroit. Et ainsi, lors que ce berger fut parti (car son mal ne luy permettoit de demeurer lanquement en un mesme lieu), elle sortit aussi de ce lieu, en se mettant apres luy, l’attaignit assez pres de là, parlant avec Corilas qu’il avoit rencontré en chemin, et feignant de leur demander des nouvelles du berger desolé, ils luy respondirent qu’ils ne le cognoissoient point. C’est, leur dit-elle, un berger qui va plaignant une bergere morte, et que l’on