Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/369

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delà le fleuve du Rhosne, hors la province Viennoise, et que vous luy fustes donné par celuy qui vous avoit enlevé à plus de deux journées en là, en eschange de quelques armes ; mais que peutestre vous en pourriez vous mieux ressouvenir, car vous pouviez avoir cinq ou six ans. Et luy ayant demandé si les habits que vous aviez lors, ne pouvoient point donner quelque cognoissance de quels parents vous estiez issu, il m’a respondu que non, d’autant que vous estiez si jeune encore, que mal-aisément pouvoit-on juger à vos habits de quelle condition vous estiez. De sorte, mon fils, que si vostre memoire ne vous sert en cela, il n’y a personne qui nous puisse oster de ceste peine.

Ainsi se teut le bon vieillard Abariel, et me prenant par la main, me pria encore de luy en dire tout ce que j’en sçavois : auquel apres tous les remerciements que je sceus luy faire, tant de la bonne opinion qu’il avoit de moy, que de la nourriture qu’il m’avoit donnée, et du mariage, qu’il me proposoit, je luy respondis, qu’en verité j’estois si jeune, quand je fus pris, que je n’avois aucune souvenance, ny de mes parents, ny de ma condition. – Cela, reprit le bon vieillard, est bien fascheux, toutesfois nous ne laisserons pas de passer outre, pourveu que vous l’ayez agreable, n’ayant attendu d’en parler à Azahyde, que pour sçavoir vostre volonté. Et luy ayant respondu, que je serois trop ingrat, si je n’obeissois entierement à ce qu’il me commanderoit, dés l’heure mesme, me faisant retirer, il envoya querir son fils, et luy declara son dessein que depuis mon retour il avoit sceu de sa fille, et que la crainte de perdre le bien que Abariel nous donneroit, luy faisoit de sorte desappreuver, que quand son pere luy en parla, il le rejetta si loing, et avec tant de raisons, qu’en fin le bon homme ne pouvant l’y faire consentir, luy dit franchement : Azahide, si tu ne veux donner ta fille à qui je voudray, je donneray