Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/382

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Et lors se tournant vers luy, il continua : Qu’est-ce, Silvandre, qui peut obliger d’avantage une belle bergere à nous aimer ? C’est, dit Silvandre, n’aimer qu’elle seule. – Et qu’est-ce, continua Hylas, qui luy peut plaire d’avantage ? – C’est, respondit Silvandre, l’aimer extremement. – Or voyez, reprit alors l’inconstant, quel ignorant amoureux est cestuy cy ? Tant s’en faut que’ce qu’il dit soit vray, qu’il engendre le mespris et la haine ; car n’aimer qu’elle seule, luy donne occasion de croire que c’est faute de courage, si l’on ne l’ose entreprendre, et pensant estre aimée à faute de quelqu’autre, elle mesprise un tel amant. Au lieu que si vous aymez par tout, pour peu que la chose le merite, elle ne croit pas, quand vous venez à elle, que ce soit pour ne sçavoir où aller ailleurs, et cela l’oblige à vous aimer, mesme si vous la particularisez, et luy faites paroistre de vous fier d’avantage en elle, et que pour mieux le luy persuader, vous luy racontiez tout ce que vous sçavez des autres, et une fois la sepmaine vous luy rapportiez tout ce que vous leur avez dit, et qu’elles vous auront respondu, agençant encor le conte, comme l’occasion le requerra, afin de le rendre plus agreable, et la convier à cherir vostre compagnie. C’est ainsi, novice amoureux, c’est ainsi que vous l’obligerez à quelque amour.

Mais pour luy plaire, il faut au rebours fuir comme poison l’extremité de l’amour, puis qu’il n’y a rien entre deux amans de plus ennuyeux que ceste si grande et extreme affection ; car vous qui aimez de ceste sorte, pour vous plaire, taschez de luy estre tous-jours apres, de parler tousjours à elle, elle ne sçauroit tousser, que vous ne luy demandiez ce qu’elle veut, elle ne peut tourner le pied que vous n’en fassiez de mesme : bref, elle est presque contrainte de vous porter, tant vous la pressez et importunez. Mais le pis est, que si elle se trouve