Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/405

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qu’il n’aimoit que moy. – Et depuis quand ? adjousta Stilliane ; je sçay bien pour le moins que j’en ay un bon escrit, qu’Hermante depuis une heure m’a donné de sa part. Et afin que vous ne doutiez point de ce que je dis, lisez ce papier, et vous verrez si je mens.

Dieux ! que devins-je à ces mots ?

Je vous jure, belle bergere, que je ne peus jamais ouvrir la bouche pour ma deffense. Et ce qui me ruina du tout, fut que par malheur plusieurs autres bergeres y arriverent en mesme temps, ausquelles elles firent ce conte si desavantageusement pour moy, qu’il ne me fut pas possible de m’y arrester d’avantage.

Mais sans leur dire une seule parole, je vins raconter à Hermante ma mesaventure, qui faillit d’en mourir de rire, comme à la verité le sujet le meritoit. Ce bruit s’espancha de sorte par toute Camargue, que je n’osois parler à une seule bergere, qui ne me le reprochast, dont je pris tant de honte, que je resolus de sortir de l’isle pour quelque temps. Voyez si j’estois jeune, de me soucier d’estre appellé inconstant, il faudroit bien à ceste heure de semblables reproches pour me faire desmarcher d’un pas. – Voilà que c’est, dit Paris, il faut estre apprentif avant que maistre. – Il est vray, respondit Hylas, et le pis est, qu’il en faut bien souvent payer l’apprentissage.

Mais pour revenir à nostre discours, ne pouvant alors supporter la guerre ordinaire que chacun m’en faisoit, le plus secrettement qu’il me fut possible, je donnay ordre à mon mesnage, et en remis le soin entier à Hermante, et puis me mis sur un grand batteau, qui remontoit, ensemble avec plusieurs autres. Je n’avois alors autre dessein que de voyager et passer mon temps, ne me souciant non plus de Carlis, ni de Stilliane, que si je ne les eusse jamais veues, car j’en avois tellement perdu la memoire en les perdant de veue, que je