Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/407

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de ce que j’allois desguisé, qu’elle receut pour bonne, et que je luy eus asseuré que ce qui me faisoit descouvrir à elle, n’estoit que pour la supplier de se servir plus librement de moy. Mon fils, me respondit-elle, je ne m’estonne pas que vous ayez ceste volonté envers moy, car vostre pere m’a tant aimée, que vous degenereriez trop, si vous n’aviez quelque estincelle de ceste affection. Ah ! mon enfant, que vous estes fils d’un homme de bien, et le plus aimable qui fust en toute Camargue.

Et me disant ces paroles, elle me prenoit par la teste, et me joignoit contre son estomach, et quelquesfois me baisoit au front, et ses baisers me faisoient ressouvenir de ces fouyers, qui retiennent encor quelque lente chaleur, apres que le feu en est osté ; car mon pere avoit failly de l’espouser, et peut-estre l’avoit trop servie pour sa reputation, comme je sceus depuis. Mais moy qui ne me souciois beaucoup de ses caresses, sinon en tant que’elles estoient utiles à mon dessein, feignant de les recevoir avec beaucoup d’obligation, la remerciay de l’amitié qu’elle avoit portée à mon pere, la suppliay de changer toute ceste bonne volonté au fils, et que puis le Ciel m’avoit fait heritier du reste de ses biens, elle ne me des-heritast de celuy que j’estimois le plus, qui estoit l’honneur de ses bonnes graces, et que de mon costé je voulois succeder au service que mon pere luy avoit voué, comme à la meilleure fortune de toutes les siennes.

Bref, belle bergere, je sceus de sorte flatter ma vieille, qu’elle n’aimoit rien tant que moy, et contre sa coustume, pour me gratifier, commanda à sa belle-fille de m’aimer. O qu’elle eust esté bien advisée, si elle eust suivy son conseil ! Mais je ne trouvay jamais rien de si froid en toutes ses actions, de sorte qu’encor que je fusse tout le jour aupres d’elle, si