Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/431

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il n’avoit donné loisir à ses affections de jetter leurs racines en son ame ; car, dés qu’il peut porter le faix des armes, poussé de cet instinct genereux, qui porte les courages nobles aux plus dangereuses entreprises, il ne laissa occasion de guerre, où il ne rendist tesmoinage de ce qu’il estoit. Depuis, estant revenu voir Clidaman, pour luy rendre le devoir à quoy il luy estoit obligé, en mesme temps il se donna à deux, à Clidaman, comme à son seigneur, et à Galathée, comme à sa dame, et à l’un et à l’autre sans l’avoir desseigné. Mais la courtoisie du jeune Clidaman, et les merites de Galathée avoient des aymans de vertu trop puissants, pour ne l’attirer à leur service.

Voilà donc, comme je vous disois, Lindamor amoureux, mais de telle sorte, que son affection ne se pouvoit plus couvrir du voile de la courtoisie. Polemas, comme celuy qui y avoit interest, le recogneust bien tost. Toutesfois, encor qu’ils fussent amis, si ne luy en fit-il point de semblant ; au contraire, se contraire, se cachant entierement à luy, il ne taschoit que de s’assuerer d’avantage de ceste amour, afin de la ruiner par tous les artifices qu’il pourroit, comme il l’essaya depuis. Et parce que, dés le retour de Lindamor, il avoit, comme je vous disoi, fait profession d’amitié avec luy, il luy fut aisé de continuer.

En ce temps, Clidaman commença de se plaire aux tournois et aux joustes, où il reussissoit fort bien, à ce que l’on disoit, pour son commencement. Mais sur tous Lindamor emportoit tousjours la gloire du plus adroit et du plus gentil, dont Polemas portoit une si grande peine, qu’il ne pouvoit dissimuler sa mauvaise volonté, et pensant, s’il faisoit ses parties avec luy, d’en emporter la plus grande gloire, parce qu’il estoit plus aagé et de plus longue main à la Cour, il estoit tousjours dans tous les desseins de son rival. Mais Lindamor, qui ne se doutoit point de l’occasion qui le luy faisoit