Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/450

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Or soudain qu’elle eut receu ce papier, feignant d’avoir oublié quelque chose en son cabinet, elle m’appella, et dit aux autres nymphes qu’elle reviendroit incontinent, et qu’elles l’attendissent là. Elle monta en sa chambre, et de là en son cabinet, sans me rien dire. Je jugeois bien qu’elle avoit quelque chose qui l’ennuyoit, mais je n’osois le luy demander de crainte de l’importuner. Elle s’assit, et jettant la requeste de Fleurial sur la table, elle me dit : Ceste beste de Fleurial me va tousjours importunant des lettres de Lindamor : je vous prie, Leonide, dites luy qu’il ne m’en donne plus. Je fus un peu estonnée de ce changement ; toutesfois je sçavois bien que l’amour ne peut demeurer longuement sans querelle, et que ces petites disputes sont des soufflets qui vont d’avantage allumant son braiser, neantmoins je ne laissay de luy dire : Et depuis quand, madame, vous en donne-t’il ? – Il ya longtemps, repliqua-t’elle. Et n’en sçaviez-vous rien ? – Non certes, luy dis-je, madame.

Elle alors en fronçant un peu le sourcil : Il est vray, me dit-elle, qu’autrefois je l’ay eu agreable, mais à ceste heure il a abusé de ceste faveur et m’a offensée par sa temerité. – Et quelle est sa faute ? repliquay-je. – La faute, adjousta la nymphe, est un peu grossiere, mais toutesfois elle me desplaist plus qu‘elle n’est d’importance. Je vous laisse à penser quelle vanité est la sienne de faire entendre qu’il est amoureux de moy, et qu’il me l’a dit. – O ! madame, luy dis-je, cela n’est peut estre pas vray ; ses envieux l’ont inventé pour le ruiner, et pres de vous , et pres d’Amasis. – Cela est bon, repliqua-t’elle, mais cependant Polemas le dit par tout, et seroit-il possible que chacun le sceust et que luy seul fust sourd à ce bruit ? Que s’il l’oyt, que n’y remedie-t’il ? – Et quel remede, respondis-je, voulez-vous qu’il y apporte ? – Quel ? dit la nymphe, le fer et le sang. – Peut-estre le fait-il avec