Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/462

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s’en alla au galop jusques à perte de veue, ne voulant estre recogneu. Cest effort luy fit beaucoup de mal, et le reduisit à telle extremité, qu’estant arrivé en la maison d’une des tantes de Fleurial, où il avoit auparavant resolu de se retirer en cas qu’il fust blessé, il se trouva si foible qu’il demeura plus de trois sepmaines avant que de se r’avoir.

Cependant voilà Galathée de retour, fort en colere contre le chevalier incogneu, de ce qu’il n’avoit pas voulu la seconde fois laisser le combat, luy semblant d’estre plus offensée en ce refus qu’obligée en ce qu’il luy avoit donné. Et parce que Polemas tenoit un des premiers rangs, comme vous sçavez, Amasis et Clidaman avec beaucoup de déplaisir le firent emporter du camp, et panser avec tant de soin qu’en fin on commença de luy esperer vie.

Chacun estoit fort desireux de sçavoir qui estoit le chevalier incogneu, le courage et la valeur duquel s’estoit acquis la faveur de plusieurs. Galathée seule estoit celle qui en avoit conceu mauvaise opinion, car ceste orgueilleuse beauté se ressouvenoit de l’offense, et oublioit la courtoisie. Et parce que c’estoit à moy à qui elle remettoit ses plus secrettes pensées, aussi tost qu’elle me vid en particulier : Cognoissez-vous point, me dit-elle, ce discourtois chevalier à qui la fortune et non la valeur a donné l’advantage en ce combat ? – Je cognois certes, luy dis je, madame, ce vaillant chevalier qui a vaincu, et le cognois pour aussi courtois que vaillant. – Il ne l’a pas monstré, me dit-elle, en ceste action, autrement il n’eust pas refusé de laisser le combat quand je l’en ay requis. – Madame, respondis-je, vous le blasmez de ce que vous le devriez estimer, puis que pour vous rendre l’honneur que chacun vous doit, il a esté en danger de sa vie, et en ay veu couler son sang jusques en terre. – En cela, si Polemas a eu tort, dit-elle, il