Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/530

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de croire de vous ce que vous m’en dites, si vous ne satisfaites à la premiere priere que je vous ay faite. – Cruelle, luy dit incontinent l’affligé Celion, si vous voulez que je change ceste amitié, que pouvoir avez-vous plus de me commander ? Que si vous ne voulez pas que je la change, comme est-il possible d’aimer la vertu, et le vice ? Et s’il n’est pas possible, pourquoy voulez-vous pour preuve de mon affection une chose qui ne peut estre ?

La pitié la cuida vaincre, et combien qu’elle receust beaucoup de peine de l’ennuy du berger, si luy estoit-ce un contentement qui ne se pouvoit esgaler de se cognoistre si parfaittement aimée de celuy qu’elle aimoit le plus. Et peut estre que cela eust peu obtenir quelque chose sur sa resolution, n’eust esté qu’elle vouloit oster toute opinion à Aramanthe qu’elle fust atteinte de son mal, encor qu’elle aimast ce berger et en fust beaucoup aimée. Elle contraignit donc la pitié qui desja avoit avec amené quelques larmes jusques à la paupere, de s’en retourner en son cœur sans donner cognoissance d’y estre venues, et à fin de ne retomber en ceste peine, elle s’en alla, et en partant, luy dit : Vous me tiendrez pour telle qu’il vous plaira, si suis-je resolue de ne vous voir jamais que vous n’ayez effectué ma priere et vostre promesse, et croyez que ceste resolution survivra vostre opiniastreté.

Si Celion se trouva hors de soy se voyant seul, esloigné de toute consolation, et resolution, celuy le pourra juger qui aura aymé. Tant y a qu’il demeura deux ou trois jours comme un homme perdu, qui couroit les bois, et fuyoit tous ceux qu’il avoit autrefois frequentez. Enfin un vieil pasteur infiniment amy de son pere, homme a la verité fort sage, et qui avoit tousjours fort aimé Celion, le voyant en cest estat, et se doutant qu’il n’y avoit point de passion assez forte pour causer de semblables effects