Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/541

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Lors que Bellinde receut cette lettre, et ces vers, elle estoit en peine de luy faire tenir une des siennes, parce qu’oyant dire l’estrange vie qu’il faisoit, et les paroles qu’il proferoit contre elle, elle ne pouvoit le souffrir qu’avec beaucoup de desplaisir, considerant combien cela donnoit l’occasion de parler à ceux qui n’ont des oreilles que pour apprendre les nouvelles d’autruy, et de langue que pour les redire. Sa lettre estoit telle.

Lettre de Bellinde à Celion

Il est impossible de supporter d’avantage le tort que vostre estrange façon de vivre nous fait à tous deux. Je ne nie pas que vous n’ayez occasion de plaindre nostre fortune. Mais je dis bien qu’une personne sage n’en sçauroit avoir qui luy permette sans blasme de devenir fol. Quel transport est celuy qui vous empesche de voir, que donnant cognoissance à tout le reste du monde que vous mourez d’amour pour moy, vous me contraignez toutesfois de croire que veritablement vous ne m’aimez point ? Car si vous m’aimiez, voudriez-vous me desplaire? et ne sçavez-vous pas que la mort ne me sçauroit estre plus ennuyeuse que l’ opinion que vous donnez à chacun de nostre amitié? Cessez donc, mon frere, je vous supplie, et par ce nom qui vous oblige d’avoir soing de ce qui me touche, je vous conjure que si present vous ne pouvez supporter ce desastre sans donner cognoissance de vostre ennuy, vous preniez pour le moins resolution de vous esloigner, en sorte que ceux qui vous oyront plaindre, ne cognoissant point mon nom, ne fassent que regetter avec vous vos ennuis sans pouvoir rien soupçonner à mon desadvantage. S i vous me contentez en ceste resolution, vous me ferez croire que c’est surabondance, et non point deffaut d’affection, qui vous a fait errer contre moy. Et ceste consideration