Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/549

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le prenant par la teste le baisa au front, et luy disant à Dieu, et s’en allant : Dieu vous vueille, dit-elle, berger, donner autant de contentement en vostre voyage que vous m’en laissez peu en l’estat où je demeure.

Celion n’ eut ny la force de luy respondre ny le courage de la suivre, mais s’estant levé, et tenant les bras croisez, l’alla accompapant des yeux, tant qu’il la peut voir. Et lors que les arbres luy en eurent osté la veue, levant les yeux au ciel tous chargez de larmes, apres plusieurs grands souspirs, il s’en alla courant d’un autre costé, sans soucy ny de son troupeau, ny de chose qu’il laissast en sa cabane.

Ergaste qui cache derriere le buisson, avoit ouy leurs discours, demeura plus satisfait de la vertu de Bellinde qu’il ne se peut dire, admirant et la force de son courage et la grandeur de son honnesteté. Et apres avoir demeuré long temps ravi en ceste pensée, considerant l’extreme affection qui estoit entre ces deux amants, il creut que ce seroit un acte indigne de luy que d’estre cause de leur separation, et que le Ciel ne l’avoit point fait rencontrer si à propos à cest adieu, que pour luy faire voir la grande erreur qu’il alloit commettre sans y penser.

Estant donc resolu de rapporter à leur contentement tout ce qui luy seroit possible, il se met à suivre Celion ; mais il estoit desja tant esloigné qu’il ne le sceut atteindre, et pensant de le trouver en sa cabane, il prit un petit sentier qui y alloit le plus droit. Mais Celion avoit passé d’un autre costé, car sans parler à personne de ses parents ny de ses amis, il s’en alla vagabond sans autre dessein plusieurs jours, sinon qu’il fuyoit les hommes et ne se nourrissoit que de fruicts sauvages que l’extreme faim luy faisoit prendre par les bois.

Ergaste qui vid que son dessein estoit rompu de ce costé, apres l’avoir cherché un jour ou deux, vint trouver Bellinde, esperant de sçavoir