Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/551

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vous me permettrez de dire qu’il n’y a personne qui en puisse sçavoir d’avantage que moy. – Je vous accorde, dit Ergaste, que vous en sçavez plus que tout autre ; mais pour cela vous ne me ferez pas confesser que le sujet qui vous a conduite icy soit celuy que vous dites. – Et quel penseriez-vous donc, dit-elle, qu’il fust ?

Et à ce mot, elle mit la main au visage faisant semblant de se frotter les sourcils, mais en effect c’estoit poùr couvrir en quelque sorte la rougeur qui lui estoit montée.

A quoy Ergaste prenant garde, et la voulant oster de la peine où il la voyoit, respondit de ceste sorte : Belle et discrette bergere, il ne faut plus que vous usiez de dissimulation envers moy, qui sçay aussi bien que vous ce que vous croyez avoir de plus secret en l’ame. Et pour vous monstrer que je ne ments point, je vous dis qu’à ceste heure vous estiez sur le bord de ceste eau, songeant avec beaucoup de desplaisir au dernier adieu que vous avez dit à Celion, au mesme lieu où vous estes. – Moy ? dit-elle incontinent toute surprise. – Ouy, vous-mesme, respondit Ergaste, mais ne soyez pas marrie que je le sçache, car j’estime tant vostre vertu et vostre merite ; que tant s’en faut que cela vous puisse jamais nuire, que je veux que ce soit la cause de vostre contentement. Je sçay le long service que ce berger vous a rendu, je sçay avec combien d’honneur il vous a recherchée, je sçay avec combien d’affection il a continué depuis tant d’années, et de plus, avec quelle sincere et vertueuse amitié vous l’affectionnez. La cognoissance de toutes ces choses me fait desirer la mort, plutost que d’estre cause de vostre reparation. Ne pensez pas que ce soit jalousie, qui me fait parler de ceste sorte ; jamais je n’entreray en doute de vostre vertu, et puis j’ay ouy de mes aureilles les sages discours que