Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/577

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Ce fut sur ce propos que Galathée parlant à Celadon disoit qu’à l’advenir elle croiroit impossible qu’une femme une fois en sa vie n’aimast quelque chose: Car, disoit-elle, ceste jeune nymphe a usé de temps de cruautez envers tous ceux qui l’ont aimée que les uns en sont morts de desplaisir, les autres de desespoir se sont bannis de sa veue. Et mesme cestuy-cy qu’elle pleur mort, elle l’a reduit autrefois à telle extremité que, sans Leonide, c’estoit fait de luy, de sorte que j’eusse juré qu’amour euste plustost eu place dans les glaçons les plus froids des Alpes, que dans son coeur, et toutesfois vous voyez à ceste heure à quoy elle est reduite. – Madame, respondit le berger, ne croyez point que ce soit amour, c’est plustost pitié. A la verité il faudroit bien qu’elle fust de la plus dure pierre qui fut jamais, si le rapport que ce jeune homme a fait, ne l’avoit bien vivement touchée; car je ne sçay qui ne le seroit en l’oyant raconter, encor que qu’on n’eust autres congnoissances de luy que ceste seule action. Et quant à moy, il faut que je le die la verité, je tiens Lidgamon plus heureux que s’il estoit en vie, puis qu’il aimoit ceste nymphe avec tant d’affection et qu’elle le rudoyoit avec tant de rigeur comme j’ay sceu. Car quel plus grand heur luy pouvoit-il advenir que de finir ses miseres et entrer aux felicitez qui l’accompagnent? Quel croyez-vous que soit son contentement de voir que Silvie le plaint, le regrette, et estime son affection? Mais je dis ceste Silvie qui autrefois l’a tant rudoyé. Et puis qu’est-ce que desire l’amant, que de pouvoir rendre asseurée la personne aimée de sa fidelité et son affection? Et pour parvenir à ce poinct, quels supplices et quelles morts sçauroit-il refuiser? A ceste heure qu’il void, d’où il set, les larmes de sa Silvie, qu’il oyt les soupirs quel est son