Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/95

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apportois, un peu avant que vous ayez voulu dormir, elle l’a veu, et me l’a osté. – O Dieu [dit alors le berger] – aillent toutes choses au pis qu’elles pourront. Et se tournant de l’autre costé, ne voulut luy parler d’avantage.

Cependant Galathée lisoit les lettres de Celadon, car il estoit fort vray, qu’elle les avoit ostées à Meril, suivant la curiosité ordinaire de ceux qui aiment ; mais elle luy avoit fort deffendu de n’en rien dire, parce qu’elle avoit intention de les rendre, sans qu’il sceust qu’elle les eust veues. Pour lors Silvie luy portoit un flambeau devant, et Leonide estoit ailleurs, si bien qu’à ce coup il falut qu’elle fust du secret. Nous verrons, disoit Silvie, s’il est vray, que ce berger soit si grossier comme il se feint, et s’il n’est point amoureux ; car je m’asseure que ces papiers en diront quelque chose ; et lors elle s’appuya un peu sur la table. Cependant Galathée desnouoit le cordon, qui serroit si bien, que l’eau n’y avoit guiere fait de mal ; toutesfois il y avoit quelques papiers mouillez, qu’elle tira dehors le plus doucement qu’elle peut, pour ne les rompre, et les ayant espanchez sur la table, le premier sur qui elle mit la main, fut une telle lettre.

Lettre d’Astrée à Celadon

Qu’est-ce que vous entreprenez, Celadon ? en quelle confusion vous allez-vous mettre ? croyez moy qui vous conseille en amie, laissez ce dessein de me servir, il est trop plein d’incommoditez : quel contentement y esperez-vous ? Je suis tant insupportable que ce n’est guere moins entreprendre que l’impossible. Il faudra servir, souffrir, et n’avoir des yeux, ny de l’amour que pour moy ; car ne croyez point que je vueille avoir à partir avec quelque autre, ny que je reçoive une volonté à moitié mienne. Je suis soupçonneuse, je suis jalouse, je suis difficile à gaigner, et facile à perdre, et puis aisée à offenser et tres