Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/248

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nous y contreignions-nous pour avoir subject de vivre privement, elle et moy, car la chere qui croyoit que je n’y fusse que pour Clorian, m’en donnoit toutes les commoditez que je voulois. Voire je diray bien d’avantage : je luy portois les lettres que Clorian luy escrivoit, et le plus souvent je faisois la response, et elle ne faisoit que la rescrire, et Dieu sçait si c’estoit sans rire, et sans bien passer nostre temps à ses despens.

Je vivois donc de ceste sorte, le plus content homme du monde, lors que la fortune voulut tourner la roue tout à rebours ; toutesfois je n’en eus pas tant de mal qu’un autre eust bien peu recevoir, ayant une très-bonne recette à toutes ces maladies. Les festes des Bacchanales estoient presque parachevées, lors que Clorian et moy nous resolumes de maintenir un tournoy. Clorian fit paindre pour sa devise une Circé, avec le visage de Circéne, qui transformoit par ses breuvages les compagnons d’Ulysse en diverses sortes d’animaux, avec ce mot L’AUTRE AVOIT MOINS DE CHARMES. Quant à moy, n’osant me declarer comme luy, je voulus, un peu déguiser son nom, et peignis une Sirene, et Ulysse lié dans son vaisseau avec ces mots : QUELS LIENS FAUDROIT-IL ? Je pensois avoir bien travaillé, et qu’elle m’en seroit infiniment obligée, et